Entre-deux : Cour léger
Le comédien STEVE LAPLANTE propose une pièce «estivale» au mois de décembre en plein cour de la ville! Pleine d’énergie, par moments irrésistible, cette drôle de petite production ne se prend pas au sérieux.
Ça ne se repose donc jamais, un jeune comédien? Voyez Steve Laplante. Du mardi au samedi, pendant près de quatre heures, la révélation de Littoral porte les mots profonds et ludiques, lyriques et burlesques de Wajdi Mouawad. Et les dimanches et lundis, direz-vous, il prend un congé bien mérité après ce marathon? Pas tout à fait: le comédien abandonne les angoisses de Wilfrid pour l’univers autrement léger d’Entre-deux, une comédie sans prétention qu’il a lui-même écrite. Autrement dit, il campe littéralement à La Licorne, ces jours-ci…
«Avertissement: ce spectacle renferme des scènes de théâtre en été», prévient-on d’emblée dans le programme de la pièce, créée l’été dernier à Drummondville «dans une cabane en bardeaux située sur un terrain de camping», que la gang du Théâtrium (formé depuis 1995 de diplômés de l’École nationale de théâtre) a transformée en théâtre voilà quatre ans. Un spectateur averti en vaut deux. Une fois admis que, malgré la saison, malgré l’urbanité de ce lieu théâtral, la matière proposée est des plus légères et qu’elle ne respire pas toujours la finesse, il devient difficile de bouder son plaisir. Tant ce modeste spectacle est parfois tout bonnement irrésistible.
«Histoire toute simple d’une rencontre compliquée», Entre-deux met sur la table des ingrédients connus: un gars, une fille. Deux cours esseulés qui redoutent l’approche imminente de l’horrible temps des Fêtes et les questions sans délicatesse de la parenté. Lui (Philippe Jutras) a du mal à s’engager durablement – ça vous dit quelque chose, les filles? -, déchante généralement au bout de quelques semaines, désespérant de trouver La Bonne. Elle (Josée Rivard) a connu plus que sa part d’affreux blind dates; et même son horoscope ne lui prédit rien de bon pour l’année qui s’en vient… Au centre, plantée tel un deus ex machina qui s’ignore: la pétulante et pas toujours subtile Marie (Kathleen Fortin), ex du premier et meilleure amie de la seconde, qui sera évidemment à l’innocente origine du coup de foudre entre Louis et Anne. Comment les deux tourtereaux vivront leur première rencontre et – péniblement – leurs balbutiements amoureux (la conversation qui tombe en panne lors du premier rendez-vous) forme tout l’argument de la pièce, qui décortique minutieusement les étapes de l’amour naissant.
Banal? Certes, et le début, assez laborieux, aligne tous les clichés connus sur le célibat. Mais le spectacle, qui privilégie un regard plein de fraîcheur et empreint de dérision empathique, parsème cette intrigue familière, aux situations aisément reconnaissables – et sonnant souvent juste -, d’un assaisonnement d’astuces, de rebondissements et d’éléments surprenants. En y allant de variations narratives, d’arrêts sur image (la grande scène du malaise), pour employer un langage cinématographique, de changements abrupts de ton. Le texte de Steve Laplante, son troisième, développe en parallèle les points de vue d’Anne et de Louis, chacun d’eux nous livrant ses émotions et ses angoisses. D’une sentimentalité parodique, la scène de l’au revoir, qui clôt la première rencontre, est ainsi vue et décortiquée sous trois angles différents.
Et il y a la Voix… celle, intérieure, que tout bon célibataire développe, et à qui Louis et Anne s’adressent sur scène. Mi-animateur de quizz, mi-coach, cette indispensable Voix prodigue des conseils pleins de bon sens à ses deux poulains et commente ironiquement les événements. Savoureuse trouvaille. La mise en scène, assez enlevée, de Philippe Lambert n’est pas avare de clins d’oil. Voyez comment sont illustrées les «quatre étapes» que traverse généralement Louis dans ses relations amoureuses, de l’exaltation à la rupture, le tout souligné par une musique idoine…
En deuxième partie, Entre-deux semble étirer un peu son procédé, avec la Voix qui joue les entremetteuses au restaurant, et la tonitruante serveuse (Kathleen Fortin) qui appuie lourdement la caricature. Mais il y a dans cette petite production une façon de ne pas se prendre au sérieux, audible jusque dans le choix musical (en prime, une délirante séquence sur l’air de Paroles, Paroles, de Dalida).
Le tout est emporté par une distribution énergique qui joue plus souvent qu’autrement sur un mode survolté. Steve Laplante lui-même s’est réservé des rôles de coulisses: le fort discret Joël, chum invisible et morose de Marie, toujours occupé à son accaparant «projet» (Littoral, j’imagine…), ainsi que l’étonnante Voix, qui donne son originalité à la pièce.
Les dimanches et lundis jusqu’au 20 décembre
A la Licorne