Germain Houde : La dérive des sentiments
L’air dangereusement en forme, radieux (l’entrevue avait lieu le jour de son 46e anniversaire), Germain Houde vit une faste année théâtrale. En effet, il enfile coup sur coup deux pièces, alors qu’on ne l’avait pas vu sur les planches depuis Hedda Gabler, il y a deux ans et demi. Après sa forte prestation dans La Grande Magia, le comédien s’immerge dans une pièce plus intimiste, L’Atlantide, sous la direction d’Olivier Reichenbach.
Créé en 96 au Manitoba, le texte de la Canadienne Maureen Hunter lui permet de retrouver Marie Tifo, son ancienne complice des Bons Débarras, avec qui il a si souvent partagé la scène, à leurs débuts dans la Vieille Capitale. «Quand on est arrivés à Montréal tous les deux, on n’a plus jamais retravaillé ensemble. C’est la première fois en 16 ans, je pense.»
Des retrouvailles plutôt particulières, où leur complicité, intacte, se jouera au-delà des mots. Les comédiens partageront une même histoire d’amour, mais sans jamais nouer d’échanges directs. La pièce juxtapose deux solos parallèles, chaque personnage livrant
sa version de leur passion impossible et silencieuse. «C’est très schizophrène, en répétition. Chacun est dans son monde. C’est difficile, parce que ce n’est pas du théâtre réaliste. Souvent, nos gestes ne correspondent pas à nos paroles, mais sont parfois une anticipation de ce qui est à venir, ou découlent de quelque chose qui s’est passé avant. On se promène d’un temps à l’autre. Ces personnages peuvent avoir l’air passifs, mais ils sont portés par quelque chose d’étrange, sous-jacent à toute la pièce: cette espèce d’Atlantide.»
Réfugié dans l’île de Santorini – là où les archéologues situent les fondations du continent enfoui de l’Atlantide -, Ben, un Canadien qui tente d’échapper à un passé qui l’a brisé, vivra avec Mircea, une femme solitaire marquée par des apparitions mystiques, que le village a enfermée dans une image de madone, une passion interdite, où l’érotisme se marie au sacré. Incapables de comprendre la langue de l’autre, ils communiquent pourtant, comme branchés sur une dimension plus souterraine. «Ils vivent dans un monde qui est sous l’eau. Et ce qu’ils vivent ensemble est lié à ça. Est-ce que ces personnages sont une résurgence d’une autre époque? C’est ce qui est en latence pendant tout le récit. On nage dans la dimension mythique. Ça ressemble beaucoup aux légendes d’Homère ou d’Eschyle. Ce qui rend cette histoire-là, a priori banale, intéressante, c’est qu’il y a une grande nostalgie d’un monde perdu, de sentiments vrais et simples, puissants, comme l’amour, l’attirance. Ceux qui ont un peu de vécu vont comprendre (rire). Il arrive de petits moments dans l’existence où l’on vit des choses plus grandes que l’humain, qui tombent presque dans une dimension "divine".»
L’une des difficultés de la pièce tient à ce qu’on raconte en tant de mots une relation silencieuse. «Le grand défi, c’est la capacité d’évoquer. C’est, par des demi-phrases et des descriptions simples, jouer de telle façon qu’on suscite une image, une sensation, un souvenir, une référence chez le spectateur. Moi, ce que je souhaiterais, c’est de susciter chez les gens comme un soupir: "ah, mon dieu, pourquoi on se permet pas, parfois, de vivre, de sortir du moule?"»
Germain Houde croit pareillement qu’il faut prendre le risque de plonger dans l’inconnu, refuser des projets plus payants pour se consacrer totalement à une petite pièce à la Licorne, afin de «se poser des questions d’artiste». «Ultimement, une ouvre d’art, c’est une grande question, profondément intéressante. Ça te donne envie d’aller plus loin, sans que tu comprennes pourquoi. Cette pièce rejoint ça, parfois.»
«Ce dont j’ai besoin actuellement, c’est de me dépasser. Je pense que ma grande qualité d’acteur, c’est d’être capable d’amener le public ailleurs. Par ce que je suis, et la vérité, l’intensité, que je mets dans une situation. Je tiens plus du conteur, disons. Mais dans ma façon de fonctionner, je sais que je suis rendu à ajouter une couche de plus. Et la seule façon de vérifier ça, c’est au théâtre. C’est la base. Le geste sacré est là.»
Un peu comme les héros de L’Atlantide, le comédien est lui-même en quête d’une «façon d’aller à la simplicité, à l’essentiel». «Quand tu vois jouer un grand acteur, tu constates qu’il ne joue plus. Et il est. Il faut se débarrasser d’un paquet de choses pour être. Le risque est grand. Si tu te pètes la gueule, oh que ça fait mal! Mais quand tu réussis à faire ressortir cette espèce de diamant, tout le monde a les yeux rivés dessus. Parce que tu te promènes avec l’essentiel. J’aspire à jouer avec juste LE geste qu’il faut, et à tout évoquer.»
Du 12 janvier au 6 février
A La Licorne