Sylvie Drapeau : Ma plus belle histoire d’amour
Avec La Voix humaine, de Cocteau, SYLVIE DRAPEAU va plonger dans une des plus douloureuses émotions humaines: la rupture amoureuse. Mais, seule sur scène, la comédienne veut avant tout nous parler d’amour.
Rien ne dépasse le spectacle de l’émotion humaine. Depuis les Grecs, ni la technologie, ni l’argent, ni la perfection formelle ne sont arrivés à surpasser l’intensité de la représentation des émotions humaines. Dans La Voix humaine, Jean Cocteau, artiste formaliste s’il en est, a enlevé toutes les couches de théâtralité pour revenir à l’émotion brute. Une femme, seule sur scène pendant une heure, expose sa peine d’amour. Afin que, sans fard ni artifice, le théâtre puisse toucher à l’essentiel; c’est-à-dire à l’âme.
La Voix humaine est un prétexte pour le jeu d’une actrice. Cocteau a donné ce «cadeau» à la comédienne Berthe Bovy, qui a créé la pièce à la Comédie-Française, en 1930 (plus tard, Simone Signoret l’a également jouée et enregistrée). L’Espace Go a décidé de produire cette pièce atypique dès le 12 janvier. Pour ce, la directrice Ginette Noiseux a fait appel à deux grandes femmes de théâtre: la metteure en scène Alice Ronfard, et Sylvie Drapeau.
La comédienne possède un mélange extraordinaire d’assurance et de doute, de puissance et de fragilité. «C’est toute une machine, madame Drapeau. C’est fascinant de la voir travailler», remarque Alice Ronfard (elle l’avait dirigée une fois seulement, dans La Tempête, à l’Espace Go, il y a dix ans). Après avoir interprété de façon inoubliable des douzaines de personnages (Winnie, Hedda Gabler, Thérèse, Manon, Bérénice…), elle se mesure à cette pièce sans filet. «Je suis dans le vertige total», racontait Sylvie Drapeau, lors d’une entrevue en compagnie de Ronfard, avant la pause des Fêtes.
«C’est d’autant plus vertigineux qu’Alice et moi avons décidé de nous donner un coefficient de difficulté supplémentaire en enlevant le téléphone, soit l’anecdote de la pièce. Cette femme ne parle donc plus à son amant qui vient de la laisser, mais à elle-même. Son monologue exprimera plus de choses que seulement sa peine d’amour. Le fait que le téléphone soit coupé amplifie l’effet de détresse et de solitude humaine.»
Pour Sylvie Drapeau, il fallait que cette voix humaine ne porte pas uniquement sur la noirceur du mal d’aimer. Mais qu’elle éclaire également ce désespoir. «En tout cas, moi, j’ai besoin de voir de la lumière. Je n’exclus pas la noirceur, mais je ne veux pas tomber dans l’autodestruction. Quand j’ai lu ce texte, avant la peine et la solitude, j’ai vu l’amour. Dans sa détresse, cette femme a une immense capacité d’aimer. Il y a une partie d’elle-même qui sombre dans un gouffre, mais il y a aussi un désir d’émerger de la peine d’amour. Et c’est de ça que j’ai envie de parler.»
«Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé», a écrit Lamartine. De cette façon, Alice Ronfard – qui s’est entourée de Gabriel Tsampalieros, pour sa première scénographie professionnelle, et de Michel Tanner, à la dramaturgie – a imaginé cette femme au milieu d’une ville détruite, seule sur un plancher froid de céramique, et complètement entourée d’eau. «Sa peine d’amour fait tout exploser autour d’elle, dit Ronfard. C’est une bombe atomique! Bien sûr, au début des répétitions, j’ai pensé situer cette femme dans des ruines avec un cellulaire… Mais, tranquillement, je me suis dit que le téléphone n’était peut-être pas utile. Car il contribuait à donner une image de l’homme très négative: le salaud qui plante sa maîtresse. Puis, il ajoutait un côté un peu suranné qui nuisait à la tragédie. Ici
– bien qu’on reconnaisse toujours l’histoire -, la voix humaine devient une voix intérieure; un rituel au bout duquel cette femme va ultimement renaître.»
«La difficulté première de ce rôle, poursuit Drapeau, c’est la solitude de l’actrice sur scène. Or, dans cette production, la solitude est doublée, avec celle du personnage sans interlocuteur. Le sens de chacune des répliques est à réinventer parce qu’elle ne parle plus à cet homme…
– Il y a des jours où je me dis: "Mon Dieu! Pourquoi a-t-on fait une chose aussi débile? Apportez-moi vite un téléphone!"
– C’est vrai que ce serait beaucoup plus simple, Alice.
– Mais ce serait TROP simple, Sylvie. Et nous sommes des filles qui aiment ça, les choses compliquées (rires).»
«Je crois que cette femme se brise pour mieux renaître, dit finalement Sylvie Drapeau. Ensuite, elle va être capable de dire "je t’aime" à nouveau. Ce sont d’ailleurs ses dernières répliques. Elle dit cinq fois de suite: "Je t’aime"… Alice et moi, on souhaite vraiment une chose avec ce spectacle. Nous voulons que le public puisse réfléchir sur ses propres douleurs, ses propres désillusions face à l’amour. Je vais être le réceptacle de toutes les peines d’amour dans la salle. J’aimerais que La Voix humaine soit une cérémonie pour panser les blessures amoureuses…»
Un autre défi à la hauteur de madame Drapeau.
Du 12 janvier au 13 février
A l’Espace Go