Chacun sa vérité : L'impure vérité
Scène

Chacun sa vérité : L’impure vérité

En 1917, alors que sa dramaturgie ne cesse d’être rejetée par les institutions de son époque, Luigi Pirandello décide de régler ses comptes avec le théâtre. Il remporte, paradoxalement, son premier succès populaire… à l’âge de cinquante ans! Avec Chacun sa vérité, une ouvre-manifeste qui met en parallèle l’incapacité du théâtre à représenter la réalité objective et le caractère pluriel de toute vérité, Pirandello touche et déstabilise ses contemporains.
Quatre-vingts ans plus tard, neuf jeunes comédiens fraîchement diplômés de notre Conservatoire d’art dramatique reprennent le pied de nez théâtral pirandellien pour investir leur premier «vrai» théâtre: la Salle Fred-Barry. Si l’interprétation de l’impétueuse distribution n’offre que de belles surprises, le texte jadis révolutionnaire de Pirandello accuse aujourd’hui quelques rides. Un vieillissement qu’accentue parfois la mise en scène de Benoît Dagenais, qui alterne entre le didactisme appuyé et l’ingéniosité.

C’est par le biais d’un pittoresque tableau de la vie provinciale que Pirandello illustra en son temps la relativité des perceptions humaines.

Dans un petit patelin italien, une bourgeoisie locale en vient à se passionner pour les comportements étranges de trois nouveaux venus. Ainsi, Monsieur Ponza interdit à sa belle-mère, Madame Frola, de voir sa fille, et insiste également pour que personne ne fréquente sa belle-mère. Les notables cherchent à éclaircir ce petit mystère qui s’épaissit cependant devant les témoignages contradictoires du gendre et de sa belle-maman. Où est la vérité dans tout ça? Nulle part et partout à la fois, laisse supposer l’intrigue qui reste irrésolue…

Dans sa mise en scène, Benoît Dagenais nous réserve de belles trouvailles. Par exemple, l’idée d’associer métaphoriquement la faune bourgeoise à une basse-cour caquetante est du meilleur effet. Les costumes féminins emplumés (conçus par Yvan Bienvenue, pas le dramaturge!) et un pavillon qui a des allures de cage d’oiseau (de la scénographe Louise Lapointe) nous renvoient à l’image d’un poulailler où les humains piaillards deviennent les dindons de la farce.

Cependant, le metteur en scène tombe dans la démonstration poussive quand il cherche, fidèle à l’esprit de Pirandello, à dévoiler les ficelles de la fiction théâtrale par des procédés un peu trop connus. Des comédiens qui changent de costume devant les spectateurs, un personnage de vieille dame joué par un interprète masculin, des répliques livrées avec un manuscrit de la pièce en main; tout cela évoque avec peu d’originalité le rapport trouble entre la réalité et la fiction. D’autant plus que les thèses de l’auteur, bien admises de nos jours, semblent elles-mêmes réitérées à l’excès par le personnage de Laudisi.

Dans un tel contexte, les vaillants interprètes ont le mérite de retenir l’intérêt du public – qui pourrait être tenté de décrocher avant la fin – par un jeu particulièrement délié et inspiré. Parmi eux, Maxime Denommée, Sébastien Rajotte et Frédéric Blanchette se distinguent par leur pétulance dans le clan des villageois survoltés, alors que Marie-Eve Bertrand et Patrice Robitaille incarnent respectivement une belle-mère et un gendre touchants, dont le désespoir frôle constamment le délire.

En fin de compte, on sort de Chacun sa vérité en partageant pleinement la pensée de Pirandello sur l’inexistence d’une réalité unique. A la fois bonne et mauvaise, cette production de sa pièce nous laisse entre deux vérités…

Jusqu’au 30 janvier
A la Salle Fred-Barry