La Voix humaine : Casser la voix
Scène

La Voix humaine : Casser la voix

Une conversation téléphonique sans téléphone, une peine d’amour sans cour: La Voix humaine, le monologue de Jean Cocteau, tel que revisité par Alice Ronfard à l’Espace Go, est un étrange objet, l’aboutissement d’une démarche cohérente qui impressionne davantage qu’elle ne convainc.

En accord avec le «dramaturg» Michel Tanner, la metteure en scène a choisi de dépoussiérer radicalement le texte créé en 1930, véritable monument pour une comédienne, auquel les plus grandes, de Simone Signoret à Anna Magnani, se sont frottées. Son approche transforme ce cri d’amour blessé, ce soliloque mélodramatique sur les ratés de la communication, humaine aussi bien que technologique, en une délirante plongée dans l’inconscient d’une femme en quête d’elle-même. Le spectacle exacerbe la solitude du personnage, lui arrachant jusqu’au téléphone, dernier fil qui la reliait à son ex-amant et toujours aimé.

La femme incarnée par Sylvie Drapeau est campée dans ce qui ressemble à l’intérieur d’un appareil de son, envahi par les eaux: une scénographie sombrement magnifique du débutant Gabriel Tsampalieros, éclairée en beauté par Guy Simard. Un environnement vaguement beckettien, avec cette femme isolée dans un décor de fin du monde, qui discourt seule, comme s’il n’y avait plus que sa parole pour la rattacher à la vie, au monde et à son amour perdu.
Audacieux? Certes. Et on ne reprochera pas à cette lecture manifestement très travaillée de prendre des libertés avec l’ouvre originelle, mais plutôt de faire du spectacle un exercice de style d’où toute émotion est absente. Et où l’on se surprend assez rapidement à s’ennuyer, malgré la performance magistrale de Sylvie Drapeau, qui habite le personnage dans tous ses – nombreux – revirements.

La production creuse chaque variation, pousse jusqu’au bout chacune des ruptures de ton qui composent la trame de ce texte haché, traitées comme des incarnations successives, si bien qu’il semble coexister plusieurs femmes dans ce personnage polymorphe, en pleine métamorphose. Sylvie Drapeau, qu’on cantonne parfois dans un registre trop monolithique, donne ici l’incroyable étendue de son talent. Elle joue avec un brio vertigineux la femme dans tous ses états, voguant entre la colère et la contrition, entre l’angoisse haletante et le rire enfantin de l’innocence, à quatre pattes comme un animal enragé, minaudant comme une poupée française, emphatique, accusatrice, chuchotant, hurlant. Une grande leçon de jeu.

Malheureusement, dans cette production qui succombe à un certain penchant esthétisant, chaque nuance, chaque sentiment est théâtralisé, stylisé, tenu en laisse. Si bien qu’on n’oublie jamais la comédienne au profit du personnage, demeuré une abstraction, tout comme le désarroi amoureux, si minutieusement décortiqué.

En définitive, il y a beaucoup de théâtre, mais très peu d’humain dans cette Voix humaine. y

A l’Espace Go
Jusqu’au 16 février