Roméo et Juliette : Les amants terribles
Ils sont naïfs, les amants de Vérone. Ce sont deux «enfants» qui pensent que l’amour est une panacée contre toutes les injustices des hommes. Deux solitudes croyant qu’une rencontre peut changer un destin. Deux rêveurs dans un monde où trop de gens aiment tuer les rêves des autres…
Depuis plus de quatre cents ans, les gens ne se lassent pas d’entendre le récit de l’amour de Roméo et de Juliette. Dans un monde où les tragédies se répètent – les massacres au Kosovo résonnent au même diapason que la rage meurtrière d’un Tybalt – la noblesse, des sentiments qu’éprouvent les deux jeunes amants demeure un «bouquet sonore» dans le fumier de notre humanité.
Voilà pour dire qu’il faut aller voir Roméo et Juliette au TNM. Sans être parfaite, la production de ce classique, à l’affiche jusqu’au 6 février, mérite amplement le détour. Dans sa mise en scène, Martine Beaulne a pris le parti de rendre claire et limpide cette belle et éternelle histoire pour un public contemporain. Sans en faire une relecture pour autant. Dans ce sens, elle a été brillamment secondée par l’auteur Normand Chaurette. Avec sa traduction, Chaurette réactualise la poésie somptueuse de Shakespeare. Il a conservé la beauté de ce texte sans se perdre dans ses circonvolutions, ses jeux de mots et autres anachronismes. Cela fait changement du travail de François-Victor Hugo – longtemps incontournable traducteur de Shakespeare en français – dont certains passages alambiqués sont incompréhensibles.
Malgré les inévitables longueurs des classiques – les concepteurs ont amplement coupé dans ce gros morceau du théâtre élisabéthain, mais le spectacle dure trois heures trente -, Martine Beaulne signe un Roméo et Juliette à la fois divertissant et intelligent, porté par une distribution dans l’ensemble jeune et talentueuse.
Mon coup de cour va à Juliette! Elle n’en est qu’à sa deuxième expérience professionnelle, et pourtant Isabelle Blais vole le show! Entière, nuancée, vraie, sa Juliette est bouleversante. Au fil des actes, elle se transforme, passant de la jeune fille émoustillée par son idylle à la femme qui veut protéger à tout prix son amour, puis à la tragédienne expiant sa souffrance et son malheur (son monologue, avant de boire l’élixir du frère Laurent, est admirable). Selon moi, une carrière exceptionnelle attend cette comédienne diplômée du Conservatoire d’art dramatique de Montréal en 1997!
Danny Gilmore incarne correctement Roméo, mais toujours dans le même registre: le héros romantique blessé. Contrairement à sa dulcinée, on ne sent pas de progression dans son jeu, malgré les terribles événements qui lui tombent dessus. Toutefois, son jeune amoureux aux traits androgynes et à la diction impeccable reste plus convaincant que le Roméo athlétique et bafouilleur de Roy Dupuis, dans la production antérieure de la pièce, en 1989.
Gabriel Sabourin, en Mercutio, est aussi une révélation! C’est la meilleure performance que j’aie vue de ce comédien depuis sa sortie de l’École nationale, voilà cinq ans. Sabourin a tout simplement l’étoffe d’un grand acteur. Ce qui est, bien sûr, le cas de Gérard Poirier (le frère Laurent) qui continue de nous éblouir par son immense talent. Anne-Marie Cadieux, quant à elle, donne une prestation étonnante mais savoureuse de lady Capulet.
Malheureusement, Louise Portal est beaucoup moins convaincante dans le rôle de la nourrice. La comédienne semble… dans une autre pièce, tant son jeu peu subtil nous transporte en plein boulevard français. Finalement, Éric Bernier rend son coloré bouffon avec panache, quoique son jeu mériterait davantage de retenue.
Tout ce beau monde évolue dans un même lieu: une place publique d’une cité de la Rennaissance italienne (très beau décor en perspective, de Stéphane Roy), avec des costumes magnifiques de Mérédith Caron.
Si l’aventure vous intéresse, faites le pari du TNM. Ce spectacle prouve que le répertoire mérite d’être constamment revisité.
Jusqu’au 6 février
Au TNM