Scène

Raoul le chétif : Un joyeux bordel

Il n’est pas rare qu’un critique de théâtre, au sortir d’une création particulièrement expérimentale et éclatée, soit confronté à une angoissante question: comment réussir à rendre compte, de façon un tant soit peu cohérente, d’un bric-à-brac théâtral qui s’ingénie à dérouter le spectacteur par son caractère joyeusement bordélique?

Grâce aux bons soins de l’auteur Frédéric Teyssier et de sa compagnie L’Ange à deux têtes, c’est à cette tâche héroïque que s’est attaqué votre humble serviteur après avoir vu Raoul le chétif, une «comédie acrobatique» présentée au Théâtre La Chapelle dans une mise en scène de Réal Bossé. Cette fable tourbillonnante – que Pirandello aurait pu écrire s’il avait vécu en 1999 et consommé de l’acide de temps en temps – n’a de cesse de déconstruire sa propre fiction pour dévoiler une réalité encore plus invraisemblable.

Raoul, la bête au visage de lézard (Guillaume Chouinard), cherche à devenir un homme et réclame sa liberté à son dompteur (Frédéric Teyssier). Leur querelle épique dégénère à un point tel que les comédiens «décrochent» de leur rôle, déchirés entre leur réalité d’interprète et celle de leur personnage. Entraînant dans leur schizophrénie une complice aussi désorientée qu’eux (Guillermina Kerwin), les protagonistes se confrontent aux limites de l’illusion théâtrale en multipliant les ruptures de ton, les envolées verbales à l’emporte-pièce, les pitreries scabreuses et les acrobaties spectaculaires autour d’une cage sphérique suspendue.

Malgré des numéros d’acteurs savoureux et les perles que contient le texte baroque de Frédéric Teyssier – qui sait se moquer avec bonheur de ses propres prétentions littéraires -, le critique de théâtre en vint, lui aussi, à décrocher de son «rôle» de spectateur avant la fin de la pièce. Déboussolé par cette allégorie qui se complaît un peu trop dans l’absurde, l’auteur de ces lignes se perdit quelque part, entre la réalité et la fiction…

Jusqu’au 6 févrierAu Théâtre La Chapelle