Hamlet : Sens dessus dessous
On revient toujours à Shakespeare. Car aucun auteur n’a réussi à embrasser avec autant de force et d’acuité la complexité de la condition humaine. Encore aujourd’hui, avec raison, le dramaturge anglais captive toujours les créateurs, tant à la scène (de Robert Lepage à Ariane Mnouchkine) qu’au cinéma (d’Al Pacino à Kenneth Branagh).
Après La Tempête, en mars 1997, Guillermo de Andrea s’attaque de nouveau à l’ouvre colossale de Shakespeare en dirigeant Hamlet, au Rideau Vert, dans une traduction pas très musicale d’Antonine Maillet.
Malheureusement, cette production assez bâtarde du directeur artistique de la compagnie n’est pas à la hauteur des attentes du public. C’est un drôle de rendez-vous que ce Hamlet qui va dans tellement de sens et de directions, que le plus féru des sémiologues y perdrait son latin!
Guillermo de Andrea dit avoir voulu «refléter la lumière» de l’ouvre et faire comme si les mots d’Hamlet étaient prononcés par un jeune homme d’aujourd’hui. Actualiser Hamlet, d’accord. Mais comment? Voilà la question…
Avec l’aide des concepteurs (Danièle Lévesque au décor; François Barbeau aux costumes; Michel Smith à la trame musicale; et Michel Beaulieu aux éclairages), le metteur en scène a donné une facture postmoderne à la tragédie d’Elseneur: des habits contemporains – les vestons de cuir à la mode contrastant avec les robes de vieux brocart; une trame sonore électronique qui rappelle davantage le climat de Star Wars que les mélodies de William Byrd et de l’époque élisabéthaine; un décor futuriste très fonctionnel pour l’exiguïté de la scène du Rideau Vert… Bref, un magnifique travail de conception. Mais cele ne suffit pas pour actualiser un classique.
Car Guillermo de Andrea a opté pour une modernité de façade, qui ne se retrouve pas dans le reste de sa proposition. Du moins, pas dans la théâtralité de l’ensemble, et surtout pas dans le jeu des dix-neuf comédiens. Rarement, de mémoire de critique, une direction d’acteurs m’a semblé aussi éparpillée. Tout le monde joue dans une pièce différente! On l’a déjà dit, mais ça saute aux yeux: Jean Besré (Polonius) semble au beau milieu d’une comédie de Molière, alors qu’il incarne un des personnages principaux d’une des ouvres les plus noires et les plus pessimistes de Shakespeare. Hamlet ne se conclut pas dans un bain de sang et un dilemme existentiel pour rien. Comme à son habitude, Catherine Sénart en fait beaucoup trop. La scène où elle interprète la folie d’Ophélie est d’un ridicule consommé. Jacques Godin incarne un roi du Danemark qui brille par son manque de panache. A l’opposé, la reine Gertrude de Louise Marleau tranche par sa superbe et sa dignité; une impériale froideur qui est, maladroitement, brisée dans la deuxième partie lors du face-à-face avec son ténébreux fils.
Finalement, Emmanuel Bilodeau… Son Hamlet est inégal. Le comédien est incapable de transcender son personnage. Comme s’il avait travaillé le détail de chaque scène mais négligé l’ensemble. Un interprète ne doit pas se contenter de jouer la situation pour rendre l’émotion. Il doit parvenir à les enchaîner dans une perspective psychologique plus large. En deux mots, il faut pouvoir suivre le personnage dans sa descente aux enfers.
Au bout du compte, cette production qui voulait jeter un élairage nouveau sur Hamlet, n’arrive pas à capter l’intérêt du spectateur. Ce qui, chef-d’ouvre ou pas, reste toujours pénible.
Au Rideau Vert
Jusqu’au 20 février