Exaucé d’Édouard Lock : Ainsi soit-il
ÉDOUARD LOCK et La La La Human Steps sont de retour avec Exaucé, une ouvre plus méditative que survoltée.
Attendue, la dernière ouvre d’Édouard Lock en surprendra plus d’un. Le chorégraphe de La La La Human Steps signe une danse sur pointes qui inclut, par touches, le travail qui l’a fait connaître au cours des vingt dernières années. Plus méditative que survoltée, Exaucé reste une ouvre complexe. Cours sensibles, courez-y!
Parlons d’abord des nouveautés, car elles sont nombreuses. La dernière chorégraphie de Lock donne le beau rôle aux six danseuses de la compagnie. Leur talent explose à l’intérieur de duos dans lesquels leurs partenaires masculins restent dans l’ombre. On n’a d’yeux que pour ces jambes effilées qui exécutent des pointes à un rythme accéléré à l’intérieur de cercles faiblement éclairés. Par ailleurs, les feux des projecteurs ne sont plus braqués sur la danseuse vedette de La La La, Louise Lecavalier. Elle apparaît une vingtaine de minutes dans un spectacle qui fait plus d’une heure et demie. Seule à ne pas être sur pointes, elle est aussi la seule à danser véritablement avec son partenaire (lors du deuxième duo). Malgré sa présence discrète, sa performance n’en demeure pas moins remarquable.
Enfin, les échanges survoltés si chers à Lock semblent appartenir au passé. Les lumières, la musique comme la gestuelle contribuent à faire d’Exaucé une ouvre en demi-teintes. Un changement déstabilisant pour le spectateur qui s’attend à assister à une danse rentre-dedans. Or, les émotions sont égrenées au compte-gouttes grâce, notamment, à la musique nostalgique de la violoncelliste ou du pianiste, ou encore aux chuchotements de la bande sonore.
En fait, les principaux attraits d’Exaucé restent la gestuelle fouillée de Lock, au demeurant très bien exécutée par la troupe, l’originalité et la beauté des images chorégraphiques (les courtes séquences de groupe sont des bijoux visuels), ainsi que la présence bien intégrée des musiciens sur scène. Pas de doute, le spectacle de La La La est une réussite. Il exige cependant une attention soutenue afin d’être apprécié à sa juste valeur. Si les duos donnent l’impression de se répéter parfois, le chorégraphe brise la monotonie en y plaçant un morceau de guitare électrique ou une tranche cinématographique.
Comme pour ses précédentes pièces, Lock intègre de la vidéo à sa danse. Il nous montre, notamment, les mimiques d’un poupon ou d’une jeune femme emportée par l’ivresse. Ne cherchons pas trop la signification de ces images, le chorégraphe a filmé, disait-il en entrevue, ce que ses mouvements lui inspiraient au moment de la création. D’ailleurs, il se pourrait que lesdites iamges disparaissent au cours de la tournée. Ce retrait fera sans doute le bonheur des spectateurs qui n’en ont que pour la danse de Lock.
Jusqu’au 14 février
Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts
Glace noire
Le chorégraphe Roger Sinha a du cour au ventre. Depuis la première de Glace noire au Festival Danse Canada, il y a six mois, il a réussi à métamorphoser sa dernière ouvre, dont la structure apparaissait plutôt boiteuse, en une danse originale et soignée.
Cette pièce aborde le phénomène de la dépendance. En danse, il est toujours un peu casse-cou d’exprimer en mouvements un thème concret. La plupart du temps, les chorégraphes se contentent de s’en inspirer sans chercher à l’illustrer sur scène. Sinha propose, quant à lui, carrément des images en relation avec l’engouement pour les drogues. Avec, comme décor, quatre colonnes de style romain, un grand carré de glace concassée (où les danseurs iront se rouler) et une boule de glace suspendue à un fil.
Avec humour et intelligence, le chorégraphe souligne au cours de la première partie du spectacle la recherche du plaisir à l’origine d’une accoutumance. Comme pour ses pièces précédentes, il emploie des accessoires inusités (micro branché à une espèce de réchaud ambulant) et une musique souvent évocatrice et étonnante – comme ces chansons américaines des années cinquante. Ces éléments suscitent souvent des rires dans la salle. C’est à ce moment que le talent de Sinha trouve sa pleine mesure. Sa danse est belle, vive et fort bien interprétée. Comme chez Lock, Sinha emploie la technique de pointes, mais par moments seulement.
Pendant la deuxième partie du spectacle, la pièce bascule dans les abysses de la dépendance. Déchirement, errance, résignation, tout ici est évoqué avec un réalisme sérieux et parfois un peu fleur bleue. Cette partie est plus difficile à apprivoiser, mais elle n’empêche pas le spectateur de passer une soirée agréable.
Jusqu’au 13 février
Agora de la danse
Délire parfait
Le week-end dernier, Benoît Lachambre présentait un spectacle-performance au Musée d’art contemporain, intitulé Délire parfait. Chorégraphe-danseur ayant travaillé pendant quelques années en Europe, il est sans doute l’un des seuls Montréalais à incarner le courant d’avant-garde de la danse européenne. Son dernier spectacle s’inscrit dans la foulée de la nouvelle danse portugaise que l’on a pu voir lors de la dernière édition du Festival international de nouvelle danse.
Qu’est-ce que c’est au juste? Du théâtre absurde suivi, au bout d’une quarantaine de minutes, d’une danse qui provoque tour à tour des rires, de l’étonnement et un certain malaise parmi les spectateurs. Bref, assister à un spectacle de Lachambre n’est jamais de tout repos. Le chorégraphe ne lâche pas une minute son public. Dès qu’on met les pieds dans la salle, on est filmé sur vidéo. A l’entracte, le chorégraphe nous parle à travers un écran de télévision et, plus tard, quand il nous dit que le spectacle est terminé, on ne sait trop si on doit le croire.
Avec lui, pas d’esthétisme léché, mais plutôt une gestuelle brute donnant l’impression d’être improvisée alors qu’il n’en est rien. Malgré son aspect expérimental, sa performance comporte plusieurs images fortes. C’est que Benoît Lachambre n’est pas uniquement un chorégraphe insolite; il est aussi un excellent danseur. Des séquences comme celle où il se transforme en oiseau, ou cette autre où il se masque le bas du visage en s’enroulant dans du ruban gommé, dérangent autant qu’elles bouleversent. Un chorégraphe à suivre.