Scène

Joël da Silva : La mélodie du bonheur

L’une des voix essentielles de notre dramaturgie se fera de nouveau entendre, du 10 au 28 février, à la Maison Théâtre. Il s’agit de celle, unique et universelle, de Joël da Silva. Pour la seconde fois, c’est aux marionnettes du Théâtre de l’Avant-Pays qu’il confie son dernier né: Le Petit Bon à rien.

Joël da Silva présente aux enfants des univers riches de mystère, d’énigmes et d’indices magiques, ressorts du conte merveilleux auquel il puise sans jamais s’y restreindre. Depuis une décennie, il élabore un théâtre de la quête et de l’initiation, de l’apprentissage et de l’accession à la connaissance. Après avoir sondé les peurs obsessionnelles de l’enfance, exploré le processus du deuil et fouillé les replis de l’identité, il aborde à présent la découverte, cruciale pour tout être, de son rôle social, cette dimension de l’identité où le destin individuel rejoint le destin collectif. Mais on s’adresse ici aux quatre à huit ans… et la quête existentielle est suggérée par un conte ludique et fantaisiste, mêlant motifs vieillots et actuels; c’est toujours de cette étoffe joyeusement bigarrée que sont faites les ouvres de Joël da Silva.

Muni d’une énigmatique clé et de trois couleurs (rouge, noir et or) pour tout indice, Aurélien doit découvrir quelle est sa place dans la cité, et il erre dans le village des Pas perdus depuis la mort de sa grand-mère adoptive, qui en vain a attendu pour souper le petit bon à rien désobéissant… Derrière le rideau rouge du théâtre, dans le noir de la scène et sous l’or des projecteurs, il trouvera sa voie.
Bien qu’elle n’ait pas été en amont de la pièce (l’impulsion créatrice vient plutôt de la rencontre, dans un village de France, d’un garçon marginal, au tempérament d’artiste), la question de la place de l’artiste préoccupe Joël da Silva. Il se demande parfois pourquoi il fait ce métier, peu valorisé, et se plaît à se qualifier d’«ouvreur de fenêtres», ce dont les gens ont grand besoin! Mais ce qui l’a guidé pour Le Petit Bon à rien, au demeurant, est beaucoup plus ténu: il a voulu raconter l’histoire d’un vilain petit canard. «On a tous un vilain petit canard en soi, affirme-t-il, une partie molle, non affirmée. Une phrase de la philosophe Annie Leclerc m’accompagne depuis des années, et je pourrais la mettre en exergue à la pièce, si elle était publiée: "Que de peine et de honte avant de savoir que ce que je croyais être ma sottise, mon irréductible débilité, était le signe de ma vertu." Cette phrase m’a souvent encouragé.» Et elle décrit fort bien, en effet, la quête d’Aurélien, se croyant nul, parce que fantasque, jusqu’à ce qu’il comprenne que son originalité est son essence et sa force.

Pour ce spectacle hautement musical, la mise en scène (Michel Fréchette et Michel P. Ranger) et l’interprétation sont très exigeantes, car les manipulateurs interprètent en direct le texte et les chansons. La musique est également signée Joël da Silva: « Il y a, entre autres, de l’accordéon, et de l’harmonica. Ce dernier instrument, associé à Aurélien, rend bien, à mon avis, la dimension petit bum du personnage.»

Auteur, musicien et comédien, aussi… Décidément, notre homme n’est pas bâillonné. Or, s’il affirme que le jeu lui manque (il a en ce sens un projet avec sa sour Marie-Hélène), s’il se mêle toujours de la mise en scène de ses pièces et compose volontiers de la musique de scène, Joël da Silva affirme sans hésiter que, de toutes ses cordes artistiques, l’écriture reste la plus vitale: «Tout part de là,on dirait, et la musique vient se greffer.»

Mais le musicien ne quitte jamais vraiment l’écrivain. D’ailleurs, Joël da Silva a structuré le texte du Petit Bon à rien comme une chanson: «Il y a beaucoup d’ellipses, de raccourcis dans la façon de raconter. Il n’y a ni temps morts ni longues explications.» En outre, au cours des répétitions, ne demandait-il pas aux marionnettistes de faire confiance à la musique des mots? S’ils avaient tendance à rajouter des «e», des hésitations pour créer de l’émotion, il s’y opposait: «Dites seulement les mots, l’un après l’autre, et l’émotion va jaillir d’elle-même.» Un texte de Joël da Silva, c’est précis comme une partition, une syllabe de trop faisant l’effet d’une fausse note. «J’écris de la musique, en somme. Je recherche une sonorité. J’aime les éclats de voix, les contrepèteries, les assonances, les dissonances… Au fond, je suis un musicien, et mon instrument de musique préféré, c’est le théâtre.»