Les Frères Karamazov : Le mal à l’âme
Comment jouer avec spontanéité des interrogations peu communes? Comment traduire naturellement le très poignant visage du Mal ébauché par Dostoïevski? Voilà le défi des comédiens qui font partie de la distribution des Frères Karamazov.
Avertissement: un meurtre sera commis prochainement du côté du Théâtre de la Bordée… Reynald Robinson orchestrera la mise en scène du crime. Qui commettra l’acte? Qui l’aura inspiré? Qui en sera accusé? Des réponses seront données à ces questions dans Les Frères Karamazov, de Dostoïevski. D’autres interrogations resteront sans réponses, si ce n’est celles bien personnelles de chaque spectateur au sortir de la représentation. Car ce fascinant auteur du XIXe siècle ne prétendait pas détenir toutes les réponses aux questionnements présents dans ses écrits. «Dans une ouvre, l’important c’est de poser la bonne question», prétendait-il. S’il y eût un questionneur sublime, ce fut bien Dostoïevski…
Le créateur
«Tu n’as pas inventé le mystère du Mal, bien que tu lui aies sans doute rendu son plus poignant langage» disait André Malraux en s’adressant dans ses écrits à Dostoïevski. Le Bien, le Mal, Dieu et Sa création sont au cour de l’ouvre de l’écrivain russe. Interpellations philosophiques, morales et religieuses s’y côtoient et tissent une toile dont les réseaux transcendent toutes tentatives séculièrement réductrices. Dans Les Frères Karamazov, l’auteur de L’Idiot et de Crimes et Châtiments recense toutes les angoisses qui l’ont hanté. A travers certains de ses personnages, Dostoïevski trace, selon ses dires, «une synthèse de l’anarchisme russe contemporain».
Un père débauché, trois fils foncièrement différents et un bâtard inquiétant. Une famille qui se déchire à propos d’argent, d’amour et de Dieu. Jusqu’à ce que survienne le meurtre. L’action s’emballe, irrémédiablement. Une ligne narrative relativement simple qui explose pourtant en une myriade d’avenues foisonnantes de sens. Voilà ce qu’a créé Dostoïevski dans ce qui fut à l’origine un roman d’un millier de pages, paru en plusieurs livres dans le Messager russe, à partir de janvier 1879. Un immense succès qui ne fait qu’accroître la popularité de l’auteur, particulièrement auprès de la jeunesse de l’époque. Profondément moderne, il voit dans le discours du personnage d’Ivan sur la «négation, non de Dieu, mais du sens de Sa création», tout le socialisme issu de la négation du sens de la réalité historique.
Les messagers
L’adaptation théâtrale du roman de Dostoïevski qu’a choisie le directeur artistique (et paternel Karamazov) Jack Robitaille est celle de Jacques Copeau et Jean Croué. «On retrouve dans la pièce les événements, les faits présents dans le roman, avec le propos philosophique omniprésent, explique Reynald Robinson. Copeau s’est d’ailleurs fait reprocher de n’avoir conservé que l’anecdote. Ce à quoi il a répondu en disant que "le roman est un art d’analyse alors que le théâtre en est un de synthèse"». Le metteur en scène a dès le départ opté pour la simplicité; un texte et des personnages forts ne nécessitant pas d’artifices. «Au tout début du travail, j’avais l’impression que je devrais faire une analyse d’époque, poursuit-il. Très rapidement, j’ai vu que ce n’était absolument pas nécessaire. C’est tellement moderne! Ça a l’air cliché de dire cela, parce qu’on nous pose toujours la fameuse question "d’actualité" ou de "pertinence" lorsqu’on monte une pièce. Et on se justifie souvent dans ces termes-là. Disons que j’aimerais n’avoir jamais utilisé l’expression "actuelle" pour une pièce, afin de le faire pour la première fois aujourd’hui! La langue y est magnifique, le dépaysement est intéressant vu le contexte historique mais le propos, lui, colle très bien à notre réalité. C’est une espèce d’histoire éternelle.»
Les disciples
Normand Daneau connaissait bien la pièce pour l’avoir montée avec succès en dernière année de conservatoire à Québec. Il y tenait naguère le rôle qu’il défendra dans la version de La Bordée; Aliocha (qui signifie ange ou chérubin), le plus jeune et le plus pur des Karamazov. «C’est une écriture très belle, simple, limpide et efficace, explique le comédien. Le propos n’a rien de quotidien, c’est vrai. Le comédien doit rendre tous ces questionnements de la façon la plus sincère. Ce sont des interrogations juvéniles, et c’est dans cette jeunesse qu’il faut puiser pour construire le personnage… Mais plus encore dans l’action. C’est une pièce d’action, un condensé du roman qui en fait un super suspense. On n’a pas à "jouer" cela, la psychologie des personnages est manifeste» poursuit-il en rajoutant que Reynald Robinson a su éviter, par son approche de la pièce, le piège du lyrisme ronronnant.
Entreront dans l’action aux côtés de Normand Daneau: Denis Lamontagne, Michel Lee, Nadine Meloche, Jean-Sébastien Ouellette, Marco Poulin, Jack Robitaille, Évelyne Rompré et Fabrice Tremblay. L’environnement musical sera exécuté en direct. Belle soirée en perspective.
Du 16 février au 13 mars
Au Théâtre de la Bordée