Édouard Lock : Le saut dans le vide
Scène

Édouard Lock : Le saut dans le vide

Depuis Human Sex, la réputation de sa compagnie, La La La Human Steps, n’est plus à faire. Pourtant, à la veille de la création nord-américaine d’Exaucé, ÉDOUARD LOCK s’interroge sur son avenir.

Dans ses studios, à l’étage supérieur du cinéma Rialto, avenue du Parc, la troupe La La La Human Steps répète Exaucé, la dernière ouvre d’Édouard Lock. Après un repos d’un mois, danseurs et chorégraphe viennent de se remettre au travail.

Même s’il est dans le métier depuis un quart de siècle, le trac l’habite autant que lorsque La La La s’appelait Lock-Danseurs, début des années 80. Une nervosité qui s’accentuera au fil des jours.

Comment peut-il douter de la qualité de son ouvre avec une feuille de route qui n’affiche que des succès? «Pour moi, les succès antérieurs ne garantissent rien. Plus je connais la pièce, plus j’anticipe ses difficultés, explique-t-il. Le jour d’un spectacle, je suis à peine capable de manger. A tel théâtre, je sais que je devrai régler tels problèmes techniques. A tel autre, ce sera autre chose.»

Cet après-midi-là, la nervosité de Lock semblait s’être déposée sur les robustes épaules de sa danseuse-vedette et compagne de travail des premières heures, Louise Lecavalier. Lorsque je m’étonne de le voir aussi calme en studio, il rétorque: «J’adapte mon attitude en fonction de la personnalité des danseurs. Certains souhaitent me voir exubérant, d’autres ont besoin du contraire. Par exemple, si j’agis comme Louise (il mime une expression d’extrême tension), ça ne fonctionnera pas.»

Lock, exubérant? Allons donc! Avec ses inséparables vêtements noirs, ses cheveux d’ébène coupés en brosse, ses pupilles sombres et son visage émacié, Édouard Lock, 44 ans, incarne à la fois l’artiste tourmenté et l’adolescent rebelle. Il a toujours été fasciné par la mort. «Je me questionne davantage que j’angoisse. Etre confronté à la disparition d’un proche, c’est être confronté à sa propre existence. On se demande ce qui va nous marquer à la fin de notre vie.» Et quels seront ses derniers souvenirs? «Mes échecs amoureux, lance-t-il tout de go. Je ne suis pas du genre à ranger mes histoires d’amour dans un tiroir.»

La relation de couple constitue un thème récurrent dans les spectacles d’Édouard Lock. C’est dans la formule des duos que l’inconscience amoureuse du chorégraphe s’exprime le plus ouvertement. Et sa vision n’a rien de glamour: les interprètes se bousculent, se repoussent ou encore se tournent le dos. Témoin de ces échanges tumultueux, le spectateur a l’impression d’assister à un moment d’intimité chargé d’émotions suscitant chez lui des sentiments troubles. C’est sans doute là, outre sa magnifique gestuelle, que réside la grande force d’Édouard Lock. «Pendant une heure et demie, danseurs et public vivent une relation passionnelle. En art, seuls le théâtre et la danse proposent ce type de rapport.»

Changement de cap
Bien qu’Exaucé emprunte des traits à 2, comme l’utilisation abondante d’images vidéo, une gestuelle moins survoltée et la présence de musiciens sur scène, c’est surtout avec Étude que sa nouvelle ouvre partage le plus de points communs. Édouard Lock utilise des éclairages clairs-obscurs et une succession de pas de deux avec des pointes à profusion. Chez ce chorégraphe dont la gestuelle convulsive a révolutionné la danse contemporaine et séduit, – entre autres, David Bowie et Frank Zappa qui lui ont commandé une ouvre -, l’utilisation des pointes indique un changement de cap. Or, il se défend de s’être assagi avec les années. «C’est qu’on ne souhaite pas se répéter. Louise (Lecavalier) a 40 ans. Ce qu’elle faisait auparavant, elle est encore capable de le faire aujourd’hui. Sauf que ça ne l’intéresse plus et moi non plus. Quel est le désir d’un artiste sinon celui d’explorer des choses différentes?», affirme-t-il.

Cela dit, le public reconnaîtra sans peine la signature unique d’Édouard Lock. Et pour cause: chaque nouveauté reprend une idée laissée en plan. «Je ne fais qu’inventer une façon inédite d’aborder quelque chose d’incompréhensible pour moi.» Lorsqu’il était jeune chorégraphe, il se souvient d’avoir vu un spectacle signé par une consour new-yorkaise nommée Pookhay, puis, plus tard, d’un solo de Trisha Brown. Ces dernières ont influencé sa manière de chorégraphier: «Leur complexité avait une précision parfaite». Le travail de George Balanchine l’a aussi inspiré. Il avoue cependant voir peu de spectacles de danse, par peur d’être influencé.

Depuis quelque temps, il jongle avec l’idée de former de jeunes chorégraphes et danseurs à sa compagnie. Il ne fait aucun doute pour lui que la relève a un bel avenir à l’extérieur de nos frontières. «La danse d’ici a bonne réputation. Dans mon temps, les Européens et Américains ne savaient rien de nous.» Toutefois, les jeunes devront retrousser leurs manches. «Il sera plus difficile pour eux de créer du matériel inédit. Les styles et les références s’entrecroiseront de plus en plus.»

En attendant, le travail d’Édouard Lock reste à l’abri des modes, ce qui ne l’empêche pas d’en être presque toujours insatisfait. Le contraire nous aurait surpris!

Le 23 février
Au Grand Théâtre