Isabelle Hubert : Lame de fond
Scène

Isabelle Hubert : Lame de fond

Lauréate de la Prime à la création 97 du Fonds Gratien Gélinas, ISABELLE HUBERT a signé une pièce étonnante qui passe les obsessions de nos contemporains au peigne fin. Tranchant.

Il ne faut pas se fier aux apparences. Même en écriture. Après avoir lu Couteau, sept façons originales de tuer quelqu’un avec…, je m’imaginais déjà le profil de son auteure: une punk révoltée, avec des anneaux dans le nez, une habituée du square Berri et de la dérive urbaine. Or, la personne qui s’est pointée au rendez-vous n’avait rien de la jeune fille en colère qui écume ses nuits au bar L’X dans le Red Light. Enceinte jusqu’aux oreilles, Isabelle Hubert ressemble plutôt à une jeune femme rangée qui fréquente les salons de thé de la rue Laurier!

«C’est l’histoire de ma vie», tranche la dramaturge de 28 ans, originaire d’un village de Gaspésie. Voir a rencontré l’auteure lundi dernier, dans les locaux du Théâtre Petit à Petit, pour faire la promotion de Couteau, sa première pièce qui prendra l’affiche de l’Espace Go, le 23 février. «En 1993, quand j’ai décidé de m’inscrire au programme de création littéraire de l’École nationale de théâtre, j’ai envoyé un court texte intitulé Déviations téléphoniques. C’est le récit croustillant de plusieurs appels obscènes. Certains professeurs de l’École nationale – dont André Brassard, qui n’est pas réputé pour être scrupuleux – n’ont pas voulu le lire jusqu’au bout tellement ils trouvaient – avec raison – ma pièce vulgaire. Finalement, ils ont décidé de me convoquer tout de même en entrevue. Mais la direction m’attendait avec une brique et un fanal. Elle croyait bien remettre à sa place une punk habillée tout croche, et dont le sport préféré était de provoquer ses aînés. Quand je suis arrivée, avec un jumper bleu marine et des lulus, les professeurs n’en croyaient pas leurs yeux!»

Gentille et souriante derrière ses petites lunettes rondes, Isabelle Hubert n’est donc pas une délinquante sauvée par la création théâtrale. Pourtant, en tournant la dernière page de Couteau…, on pourrait croire qu’elle a choisi l’écriture dramatique pour tuer ses démons, ou exorciser le monstre en elle. Car Couteau, c’est l’histoire d’un homme qui tente d’en finir avec le sentiment de culpabilité qui le ronge depuis son enfance. Il entreprend une analyse avec une psychologue. Entre les séances, son obsession est nourrie par divers récits traitant, directement ou indirectement, de couteaux, qui plongeront le spectateur dans les abîmes de la violence: un skinhead qui agresse un gai en lui plantant une lame dans le derrière; une fille qui se fait attacher et abuser dans les toilettes d’un bar; une anorexique qui se charcute le corps dans son bain… Bref, des sujets étonnamment scabreux pour une fille dont l’enfance en Gaspésie, remplie de couchers de soleils sur la mer, était bien loin de la grisaille urbaine qu’elle dépeint dans Couteau.

«En relisant ce que j’avais écrit à l’École, je me suis rendu compte qu’il y avait des couteaux partout, explique Isabelle Hubert. J’en ignore la raison, mais cela m’a incitée à écrire une pièce autour de l’arme blanche. Grâce à une bourse de la Fondation Fox, je suis allée en résidence d’écriture à la Chartreuse de Villeneuve, près d’Avignon, et j’ai terminé cette pièce.»

Puis le texte à reçu la Prime à la création 97 du Fonds Gratien Gélinas, parrainé par le Centre des auteurs dramatiques. Après avoir naguère donné leurs premières chances à de jeunes auteurs comme François Archambault, le Théâtre Petit à Petit, dirigé par Claude Poissant, a décidé de produire Couteau. La mise en scène a été confiée à Jean-Philippe Monette, également promu de l’École nationale la même année qu’Hubert. La distribution comprend Nathalie Claude, Guy Jodoin, Paul-Patrick Charbonneau, Daniel Parent et Catherine La Haye. La scénographie est signée Daniel Castonguay; les costumes sont de Maryse Bienvenue; et la musique est conçue par Ludovic Bonnier.

En attendant le résultat de cette production et ses retombées sur la place qu’elle occupera désormais dans le paysage théâtral québécois, Isabelle Hubert retournera à Québec auprès de son amoureux. Car, trois semaines après la création de Couteau, elle accouchera d’un premier bébé. Inutile de vous dire que, pour la future maman, l’arrivée de cet enfant relativise les angoisses entourant sa première véritable création à Montréal. Et elle risque d’influencer le style de son écriture. «De plus en plus, j’essaie d’atténuer la violence dans mes textes, dit-elle. Je ne suis pas particulièrement fière d’écrire des pièces dures et violentes. Je ne veux pas provoquer pour provoquer. D’ailleurs, dans Couteau, il y a aussi des situations drôles et absurdes. Car c’est comme ça que je vois la vie. Le message de ma pièce dit: "Arrêtez de vous gratter le bobo et de voir des problèmes là où il n’y en a pas." Parfois, malgré toute la misère du monde, il faut savoir dire: Don’t worry, be happy.»

Du 23 février au 20 mars
A l’Espace Go