L'Affaire Farhadi : La couleur du temps
Scène

L’Affaire Farhadi : La couleur du temps

On y fait allusion, au détour, à la gaffe «ethnique» de Parizeau, à la mort des Marcellus François et compagnie… C’est dire que L’Affaire Farhadi plonge au cour même de l’actualité montréalaise, de la réalité multiculturelle du Québec d’aujourd’hui. Et nous rappelle, du même souffle, que le théâtre, lorsqu’il est fait avec intelligence, peut s’immerger habilement dans nos débats de société et mettre à mal nos certitudes. Sans se retrouver coincé, comme trop souvent, entre l’angélisme aveugle des uns et la frilosité intolérante des autres, le texte de l’Indo-Québécois Rahul Varma expose sans fard l’embrouillamini des conflits interculturels.
A partir d’un cas de violence conjugale impliquant deux membres de communautés culturelles, Varma met en place un casse-tête fort complexe, où les enjeux ont le mérite d’être clairs, et les personnages, celui de nager en eaux troubles et grisâtres. Au-delà de leur fonction emblématique, ces personnages ont leurs motivations inavouables, et leurs contradictions intrinsèques: la femme battue veut affirmer son indépendance, mais elle aime toujours son mari – lequel, ironiquement, devient un peu le bouc émissaire de la pièce, manipulé qu’il est par un peu tout le monde. Le policier (Jean-Guy Bouchard) qui a arrêté ce dernier a la repartie volontiers douteuse, mais il a sincèrement à cour la protection des femmes violentées. Quant à l’ineffable militant des droits de la personne (Prasun Lala), qui met le feu aux poudres en criant au racisme policier, sa Cause, pour être juste, n’en sert pas moins ses ambitions politiques…
Montrant à la fois le racisme qui grouille dans les milieux policiers et la récupération de ce même racisme, l’auteur gratte donc sous le vernis des apparences, pour mettre à nu les multiples facettes du problème. Il tisse une mécanique serrée où ce qui a servi de détonateur, le drame d’un jeune couple en difficulté, est finalement occulté, voire broyé, sous les intérêts divergents, ou les Bonnes Causes, de tout le monde. Personne n’a l’apanage de l’abus de pouvoir…

Ce texte intelligent et prenant allie punch et complexité, soutenu par des dialogues directs mais empreints d’un humour en coin, alors que remontent à la surface les préjugés des diverses communautés en cause. La pièce emprunte au suspense policier (on apprend l’assassinat de Farhadi dès le début du spectacle, qui est monté en flash-back) sans s’embarrasser du lourd cadre judiciaire. Les scènes courtes, souvent syncopées, qui se catapultent les unes à la suite des autres, peignent le conflit dans toutes ses différentes ramifications. La mise en scène nerveuse et rythmée de Jack Langedick et Paul Lefebvre ne s’encombre pas non plus de pesantes structures, elle découpe l’espace essentiellement par l’éclairage et des cadres de portes transportés par les comédiens.
A l’instar de la traduction de Pierre Legris qui, sans aucune gratuité, ménage des scènes en anglais et en hindoustani, la distribution mélange les origines et les accents pour assurer la crédibilité de l’ensemble. Ce parti pris, qui confère un indéniable accent de vérité au spectacle, fait passer quelques défauts d’interprétation, la raideur de certains comédiens. Par contre, Cas Anvar et Micheline Dahlander se révèlent justes en couple déchiré. Quant aux parents, campés avec couleur par Ivan Smith et Ranjana Jha, ils sont tout bonnement savoureux.

Et disons qu’on ne se plaindra pas de découvrir de nouveaux visages, trop de théâtres se contentant de miser sur des valeurs sûres..

A La Licorne
Jusqu’au 6 mars
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