Normand Lévesque : Les joyeux drilles
En vingt-cinq ans de carrière, NORMAND LÉVESQUE a incarné son lot de personnages retors chez Molière, Goldoni, Feydeau ou Tremblay. Dans Le Barbier de Séville, l’acteur s’apprête à défendre le personnage de Bartholo, «le plus beau méchant» qu’il ait joué.
«Ah! fiez-vous à tout le monde, et vous aurez bientôt à la maison une bonne femme pour vous tromper, de bons amis pour vous la souffler, et de bons valets pour les y aider!» C’est avec ce genre d’envolées légèrement paranos que le docteur Bartholo s’est fait une place de choix, depuis plus de deux cents ans, parmi tous les vieux grincheux qui hantent les comédies classiques.
Dans quelques jours, sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde, le vieillard se confrontera à nouveau au malicieux Figaro alors que Le Barbier de Séville, ouvre célébrissime de Beaumarchais, revivra dans une mise en scène de René Richard Cyr. Le comédien Normand Lévesque s’y fera un plaisir de défendre l’infâme Bartholo…
«C’est un méchant tellement extraordinaire… je crois que c’est le plus beau que j’aie joué!» lance l’acteur qui, en vingt-cinq ans de carrière, a incarné son lot de personnages retors chez Molière, Goldoni, Feydeau ou Tremblay. «Ce qui fait le charme de Bartholo, c’est qu’il n’a pas qu’une seule couleur, comme la plupart des grognons des comédies classiques. Il a presque tous les défauts mais, en même temps, c’est pas un con. Il est intelligent, il voit tout, il entend tout. Et contrairement à ce qui arrive souvent aux méchants chez Molière, à la fin de sa pièce, Beaumarchais ne l’anéantit pas. Il le remet simplement à sa place. Ça aussi, ça me plaît!»
Comme toute bonne comédie d’intrigue qui se respecte, Le Barbier de Séville de Beaumarchais mise sur une trame dont les fils sont noués et dénoués par un entremetteur futé. Figaro, le valet affranchi devenu barbier (Benoît Brière), multiplie les stratagèmes pour permettre à un comte empoté (François Papineau) d’approcher la jeune et jolie Rosine (Pascale Desrochers). Mais, comme celle-ci est séquestrée par son tuteur Bartholo, qui projette lui-même de l’épouser, Figaro aura fort à faire pour que l’amour et la jeunesse puissent triompher…
«Même si, en apparence, ce genre d’histoire semble un peu convenu, ce qui rend génial le texte de Beaumarchais, ce sont ses différents niveaux de lecture et ses pistes déroutantes, ajoute Normand Lévesque. Par exemple, on a l’impression que Bartholo perçoit très bien les arnaques dont il est victime. Mais il va quand même au bout des choses, comme s’il avait un rendez-vous avec la fatalité. Et son orgueil va l’amener à connaître le premier échec de sa vie. Ça le rend humain.»
Éloge du peuple
Dans une optique plus «politique», Le Barbier de Séville a également permis au pamphlétaire Beaumarchais d’égratigner subtilement les élites de son époque. Figaro, qui s’est libéré de son statut de valet pour travailler à son compte, y devient l’homme du peuple qui possède l’ingéniosité dont la noblesse est dépourvue. Huit ans après la création du Barbier, Beaumarchais ira encore plus loin avec Le Mariage de Figaro qui défendra, en 1784, certaines idées avant-coureuses de la Révolution française.
«Dans Le Barbier de Séville, on sent déjà la remise en question des rapports entre le peuple et les nobles, mais ça passe en filigrane, poursuit Normand Lévesque. Beaumarchais voulait d’abord en faire une comédie destinée au divertissement, et c’est en plein ce que René Richard Cyr a cherché à montrer dans notre production. On ne va donc pas se mettre à porter des flambeaux, on est là pour avoir du plaisir!»
La bonne humeur et les fous rires ont d’ailleurs été de la partie dès les premières répétitions du spectacle. En donnant «le droit au délire et à l’erreur» à sa joyeuse bande de comédiens, le metteur en scène leur a permis d’explorer intuitivement leurs personnages avant de mettre un peu d’ordre dans les trouvailles qui fusaient de toutes parts.
Et avec un partenaire «allumé» comme Benoît Brière – pour qui le personnage de Figaro semble avoir été créé sur mesure -, comment s’est déroulée cette genèse débridée? «Benoît a une brillance qui m’a fait rire constamment et qui s’est transmise à toute la troupe, révèle Lévesque avec enthousiasme. Chaque jour, avec François Papineau, Pascale Desrochers et les autres comédiens, on avait du plaisir à se surprendre mutuellement. Quand le courant passe aussi bien au sein d’une distribution, il y a de bonnes chances que ça se transmette au public durant le spectacle.»
C’est dans un décor à plusieurs paliers de Claude Goyette, qui évoque librement les appartements de la jeune Rosine, que Normand Lévesque et ses comparses pourront s’ébrouer tout à leur aise d’ici quelques jours. Le comédien conclut l’entrevue en nous révélant un dernier petit secret…
«Je dois vous dire que les costumes de François Saint-Aubin vont aussi ajouter quelque chose de réjouissant à la soirée. Disons qu’ils ont des allures de grosses pâtisseries…»
De grosses pâtisseries… Une distribution haut de gamme qui exulte… Un metteur en scène qui veut faire du Barbier une célébration ludique… Assurément, le sieur de Beaumarchais, qui célèbre cette année le bicentenaire de son passage dans l’au-delà, doit trouver qu’on lui réserve tout un banquet…
Du 2 au 27 mars
Au Théâtre du Nouveau Monde
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