Trois Sombres Textes… : Féminin pluriel
Par-dessus la noirceur des thèmes abordés, les Trois Sombres Textes… de Marie-Eve Gagnon sont en fait vernis de causticité. Créé il y a un mois au Théâtre Périscope, à Québec, ce triple solo plutôt déconcertant se nourrit de tensions entre l’absurde et le tragique, entre le discours des personnages et ce qui est donné à entendre.
Dans un climat d’angoisse diffuse, avec la mort en arrière-plan, la comédienne Andrée Vachon campe tour à tour trois femmes en crise. Trois femmes qui méprisent, nient la réalité, ou se cantonnent sur le mode «attente», illustrant «les bebittes d’une société qui ne vit qu’au présent», selon le mot de l’auteure-metteure en scène. Un panorama éclaté d’où émergent l’individualisme et la solitude de personnages perdus.
Lumineuse, oui, mais aussi convaincante et polyvalente, Andrée Vachon passe en souplesse d’un univers, d’un personnage à l’autre. Adaptant sa voix, son accent, sa gestuelle, jouant les dures, les naïves, les frénétiques. Apportant de la cohésion à ce spectacle solo présenté dans un Espace Libre tout tendu de blanc.
Portrait cinglant d’une élite qui se dit ouverte, le premier tableau, La Muerte, dévoile les contradictions d’une philosophe prétentieuse, écartelée entre le corps et l’intellect, entre son progressisme politique et son mépris avoué des gens, qui lâche d’édifiants aveux genre: «Je me respecte, fa’que j’aime les gros pénis.» Professant que la haine est son «hobby intérieur», cette femme toute drapée de rouge raconte avec une froideur impitoyable la mort de son amant, issu d’une génération antérieure, qui n’a même pas eu la grâce de mourir correctement. Une cruauté qui dérape peu à peu vers le désarroi.
Les deux autres personnages se révèlent moins cyniques et plus candides dans leurs incertitudes: la drôle d’artiste enceinte jusqu’aux oreilles, qui a peur de «perdre son espace vital» et souhaiterait être «Di-eu», exposant la difficulté de laisser place aux autres quand on veut être tout. Et la femme en attente, qui s’épuise à espérer le miracle ou la catastrophe, «les conditions gagnantes», le contexte parfait où, enfin, son existence pourra prendre son envol. L’héroïne de Procrastination majeure se lance dans une séance de zapping effréné entre ses rêves de gloire (elle est interviewée par Denise Bombardier, d’où s’ensuit un discours syncopé sur les problèmes mondiaux), de richesse (elle remporte le gros lot à la 6-49!), d’amour (elle drague un jeune commis au supermarché) et de maternité. Une course folle et étourdissante, pendant que sa vie passe à côté d’elle et que la mort continue de faire son ouvre, partout…
Des textes très chargés de sens, donc, même s’il ne nous apparaît pas d’emblée, auquel viennent s’ajouter un environnement scénique et une mise en scène qui pèchent peut-être par abus de symboles, mais qui ne manquent pas de déstabiliser. Les costumes, les éléments scénographiques et la trame sonore (les sculptures, amalgames de raquettes, signées Jacques Samson, la ceinture fléchée, les comptines d’enfants, les extraits de Gens du pays, de Vigneault, qui retentissent aux instants les plus incongrus, les rires en boîte, utilisés à contresens…) apportent une note de dérision aux textes et introduisent souvent une dimension politique qui, autrement, pourrait passer dans le beurre.
Ironique, inattendu et un peu insaisissable, voilà un spectacle qui, à tout le moins, sort des sentiers battus…
Jusqu’au 27 février
A l’Espace Libre
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