Bluff : La règle du jeu
Scène

Bluff : La règle du jeu

Au Québec, on aime bien les histoires de gars. Les univers fleurant doucement la testostérone, avec sa complicité mêlée de rivalité, ses rêveurs de taverne, ses petits perdants qui désirent améliorer leur sort. Les histoires de hockey, de broue, et, pourquoi pas, de jeu. Sous le couvert d’une pièce sur la passion du poker, Bluff traite en fait – comme tant d’autres d’ouvres – de la difficulté pour l’homme du commun de réaliser ses rêves. Sur la vie comme une partie qu’on gagne ou qu’on perd, dépendant de notre main de départ, et de notre capacité à manipuler les cartes…

Tous les employés qui participent à la traditionnelle partie de poker hedomadaire, au restaurant de Bernard (Claude Michaud), chérissent donc un rêve: Frank (Normand D’Amour) espère réunir suffisamment de billets verts pour s’évader à Las Vegas. Le Zouf (Luc Guérin) caresse l’improbable rêve d’édifier un restaurant sur l’emplacement de… vespasiennes, ce qui suscite moqueries ou scepticisme chez ses collègues, dont Le Smatte (Widemir Normil). Le jeu permet aussi le seul contact entre le patron et son rejeton (Sébastien Delorme), dont la loyauté filiale est déchirée ce soir-là, lui qui doit une somme rondelette au rude Legris (Raymond Bouchard), avec qui il entretient des relations troubles. Tel un loup dans la bergerie, ce pro s’introduit dans la joute d’amateurs, dont les enjeux deviennent plus graves…

Il y a, dans cette première pièce du Britannique Patrick Marber, une métaphore de base assez simpliste, qui s’accorde au côté rustre de cet univers mâle: la vie comme une impitoyable partie de poker, où se départagent «winners et losers», et où l’on chercherait en vain une justice immanente. Un texte efficacement écrit, mais sans surprises, avec la tension qui monte en seconde partie; et une conclusion plutôt cucul, qui adoucit le tout…

Le metteur en scène Claude Maher a eu la main lourde à l’adaptation: tout a été transposé au Québec – on y raille même Drummondville! -, comme si le public ne pouvait faire un effort d’imagination. Quant au décor de Michel Demers, un assemblage de bouteilles colorées, il apparaît inutilement léché. Ce traitement, à la fois brut et édulcoré, rapproche Bluff d’une comédie anodine. Peu de surprises non plus du côté de la distribution: Bouchard joue les «toughs»; D’Amour, les séducteurs; Luc Guérin s’acquitte honnêtement de son rôle habituel de bouffon attendrissant. En revanche, Claude Michaud y va d’un contre-emploi réussi en figure paternelle, qu’il campe avec une grande économie de moyens. Son humour sec fait mouche. Grâce à son comique ciblé mais plutôt facile (gags machos ou aux dépens de la naïveté du Zouf), Bluff arrache des rires. Mais le spectacle, faute de fouiller davantage les relations entre les personnages, ne va pas aussi loin qu’il pourrait nous mener. Le bluff ne réussit pas vraiment…

Au Théâtre Jean-DuceppeJusqu’au 27 marsVoir calendrier Théâtre