Couteau : Tranché mince
Scène

Couteau : Tranché mince

Prime à la création du Fonds Gratien-Gélinas, en 1997, la présentation du premier texte monté à la scène d’Isabelle Hubert suscitait de fortes attentes. Hélas, c’est à un Couteau (sept façons originales de tuer quelqu’un avec…) à la lame plutôt émoussée que l’on assiste, à l’Espace Go, dans la production du Petit à Petit.

La jeune auteure gaspésienne fait dans l’humour noir, dansant sur le fil de fer entre la dérision et la violence. Celle qui hante les souvenirs et les obsessions d’un jeune homme (Daniel Parent), troublé par une histoire de pêche survenue dans son enfance: il avait alors jeté par-dessus bord – par inadvertance ou non, une analyse en compagnie d’une thérapeute fouille ses motivations – le couteau porte-bonheur d’un vieux pêcheur dont la vie, prétend-il, en avait été bouleversée. Et la sienne propre, par-dessus le marché, tourmentée par d’autres histoires mettant en scène une arme blanche…

Sans être extrêmement fort, le texte d’Isabelle Hubert plonge, mine de rien, dans les obsessions, les angoisses et les confrontations de valeurs qui façonnent notre société. C’est l’ordinaire qui dérape: la chicane entre un député et son attaché de presse, qui se disputent une poitrine de poulet (!), déraille vers un conflit autrement plus sérieux, à connotation sociopolitique; une lune de miel est gâchée par une vieille querelle, au cours de laquelle s’affrontent écologie et enjeux économiques; une drague du samedi soir tourne au cauchemar…

Le portrait cynique de cette humanité superficielle, fausse, haineuse, magouilleuse, piégée dans ses contradictions, pourrait être troublant. Or, ce qui ressort ici, c’est la caricature, la légèreté qui tourne à vide, le manque d’épaisseur de cet univers. La noirceur grinçante se dilue dans une eau parodique, où l’on ne va jamais jusqu’au bout des choses, sur le mode d’une représentation distanciée et parfois loufoque, avec micros à l’appui, et valse emportée de personnages archétypaux.

L’ironie noire ne peut émerger dans tout son mordant pour briser les tableaux: la dérision nous est donnée à voir d’emblée et, malgré certains flashs réussis, qui surprennent ou amusent, rien ne nous raccroche vraiment à ces situations et à ces personnages qui ne dépassent pas – notamment le premier tableau et la scène dans le bar – le niveau premier de leur superficialité. Seule la séquence où un petit couple anarchiste est confronté à la violence d’un homophobe d’extrême droite paraît vraiment forte.

Sinon, la pièce demeure un carrousel de compositions diverses, campées sans beaucoup de caractère par la distribution, sauf Nathalie Claude et Guy Jodoin, qui jouent de manière plus incisive. La structure de Couteau… est en effet éclatée, qui navigue entre les séances d’analyse et les récits s’y rattachant avec ingéniosité, sinon avec toujours grande clarté. Car le protagoniste demeure là, témoin, complice, parfois même acteur de ces histoires, dont on ne sait trop si elles se déroulent dans sa tête.

Il faut dire que la pièce ne semble pas avoir bénéficié de conditions de naissance idéales: le metteur en scène Jean-Philippe Monette ayant quitté, à deux semaines de la première, la production «menée à destination» par Martin Faucher. Difficile, alors, d’espérer un spectacle abouti. Voilà une pièce ramassée énergiquement, mais où la colle ne tient que superficiellement.

Couteau divertit souvent, certes, mais ne laisse aucune trace. On y chercherait en vain une réelle subversion, une quelconque dangerosité. De la lame du couteau, on n’a conservé que la minceur.

Jusqu’au 20 mars
+ l’Espace Go
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