Martine Beaulne : La vie est un théâtre
Au théâtre, Martine Beaulne aime les univers denses et tragiques. Il y a quelques années, à l’Espace Go, elle avait fait ressortir le terrible destin d’Albertine, avec sa mise en scène sombre et grave du chef-d’ouvre de Michel Tremblay, Albertine en cinq temps. Cette saison, après la tragédie romantique de Shakespeare, Roméo et Juliette, elle replonge dans Tremblay pour la reprise du Vrai Monde?,
Créée au Centre national des arts, à Ottawa, puis au Rideau Vert, en 1987, Le Vrai Monde? n’est pourtant pas la pièce la plus tragique de l’auteur d’+ toi, pour toujours, ta Marie-Lou. Or, par-delà l’argument de la quête de vérité dans l’écriture, l’ouvre dépeint des personnages plus grands que nature, dont les destins ne sont pas des plus légers.
«Il y a une notion de tragique traversant le théâtre de Tremblay qui est très importante pour moi, dit Martine Beaulne. C’est par la notion de tragique que les personnages prennent leur envol. Car ils sont conscients de leur impuissance. Ils peuvent nommer leur souffrance, mais ils demeurent incapables d’agir face à leur destin. La parole remplace donc l’action.»
Michel Tremblay aime dire que Le Vrai Monde?, c’est ses Atrides à lui. Car cette pièce raconte le drame qui secoue une famille, alors que Claude, un jeune écrivain de 23 ans, fait lire le manuscrit de sa première pièce. Celle-ci met en scène trois personnages portant les noms de son père, de sa mère, et de sa sour. En s’inspirant de sa famille, Claude croit lui rendre justice. Mais les principaux intéressés se sentent trahies par la version des faits du jeune auteur. Le public est convié à voir les deux côtés de la médaille. Sur scène évoluent les deux familles: la vraie, et celle de la pièce de Claude.
«Où est le vrai monde lorsque chacun crie au mensonge?» résume le communiqué du Théâtre du Rideau Vert, où sera présenté le spectacle dès le 9 mars. Au cour de cette confrontation entre la réalité et la fiction, la metteure en scène refuse de prendre parti. «Tous les personnages ont raison. Je ne veux porter de jugement sur aucun d’entre eux. Mariette, Madeleine, Alex et Claude ont chacun leur vérité. Et l’art, c’est sa vérité à soi. On peut accuser l’artiste de voler, d’espionner, de piquer dans le vie des autres. Mais, au bout du compte, la création reflète toujours une interprétation de la réalité, une vision du monde: celle de l’artiste. Ce n’est donc pas un vol.» Sans mentionner que parfois la réalité emprunte aussi à la fiction, si on en juge par ce qui se passe dans les coulisses de la Maison-Blanche…
«Quand j’ai commencé à faire ce métier, raconte Martine Beaulne, je ne dormais jamais avant la première d’une pièce. J’angoissais parce que je trouvais ça épouvantable de me mettre autant à nu. Je pensais que tout le monde allait voir plein d’affaires de ma vie personnelle. Avec le temps, je me suis rendu compte que les interprétations d’une mise en scène divergent selon les personnes. Et que, finalement, je suis protégée du regard du public sur ma vie. Il y a tellement d’interprétations d’un même spectacle. Et c’est tant mieux. Car l’artiste en retire davantage de liberté et peut s’exprimer sans contrainte.»
Mais y a-t-il des limites à puiser dans la vie des autres? «Quand j’ai parlé à Tremblay, poursuit Martine Beaulne, je lui ai demandé si Claude avait écrit une bonne pièce. Il m’a répondu: "Non. Mais ça n’a pas d’importance. Parce que tout acte de création est un appel à l’aide. Même si c’est malhabile, ce geste fait avancer les choses. Claude a écrit sa pièce d’abord pour régler ses problèmes avec son père. C’est un acte de libération."»
Jean Genet disait que le théâtre est là pour «poser les bonnes questions». Et que les réponses se trouvent dans la vie. En ce sens, Martine Beaulne croit que dans le titre de la pièce, le point d’interrogation est primordial. O«En travaillant la pièce, on se rend compte que Tremblay ne tranche pas, lui non plus. Et qu’il veut conclure sur ce point d’interrogation.»
Selon Beaulne, l’écriture «extraordinaire» de Tremblay facilite son travail avec les interprètes. Elle a demandé aux acteurs de respecter toute la ponctuation du texte «comme une partition». «Les monologues en particulier ont une musicalité dans les mots, une rythmique qui orchestre un état intérieur. Et la ponctuation rend vraiment un beat émotif.»
Le Vrai Monde? a autant de beaux personnages masculins que féminins. Ils seront défendus par une solide distribution: Henri Chassé, Linda Sorgini, Raymond Legault, Christianne Pasquier, Isabel Richer et Maude Guérin. Le personnage de Claude, qui avait été créé par Patrice Coquereau, il y a douze ans, sera interprété par un jeune finissant du Conservatoire d’art dramatique de Montréal – dont on dit beaucoup de bien -, Serge Mandeville. Le décor est signé Richard Lacroix, et les costumes, François Barbeau.
Du 9 mars au 3 avril
Au Théâtre du Rideau Vert
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