Roméo et Juliette : Chercher la flamme
Scène

Roméo et Juliette : Chercher la flamme

Grandeur et décadence, haine et passion; c’est Roméo et Juliette fin de siècle, revu et corrigé par NORMAND CHAURETTE et MARTINE BEAULNE. Petit précis d’un chef-d’ouvre revisité.

«Deux clans droits, égaux, forts, fiers, empesés /Que hargne, dégoût, haine sourde et fiel /De leurs mains de sang à défier le ciel /En cette Vérone en deux divisée /Deux maisons d’autrefois, d’égale dignité /Dans la noble Vérone où nous allons jouer /S’abreuvaient de leur sang en nourrissant la haine /De leurs guerres nouvelles et leurs guerres anciennes»

+ la lecture de ce prologue, on comprend que le Roméo et Juliette du tandem Normand Chaurette/Martine Beaulne ne fera pas dans la dentelle. Et selon la metteure en scène, qui monte ici son quatrième Shakespeare, l’angle adopté reflète bien la pensée originelle du grand Will. «Roméo et Juliette est une pièce de fin de siècle, merveilleusement structurée et pleine de subtilités. On se retrouve en présence de pouvoirs économiques et politiques en déclin, explique-t-elle. Normand Chaurette et moi avons fait des choix en fonction de cette décadence et de cette violence. L’utilisation du mot "guerre" plutôt que "conflit" est un bon exemple du ton recherché. Je crois que cette fable a des similarités importantes avec notre époque.»

Victime de ses grandes scènes _ dont l’incontournable tirade du balcon _, cette deuxième tragédie de Shakespeare, écrite en 1595, s’avère somme toute méconnue. Souvent réduite à une lecture romantico-fleur-bleue, la pièce contient pourtant des avenues plus sombres dans lesquelles Normand Chaurette n’a pas hésité à s’engager; passion fut le mot d’ordre. Il faut dire que ce dernier possède un bagage shakespearien lui permettant une vision large et cohérente de l’ouvre. «Il connaît tellement bien les pièces de Shakespeare qu’il en maîtrise parfaitement la rythmique et la musicalité», poursuit Martine Beaulne. On serait donc loin, heureusement, des nombreuses traductions hermétiques et scolaires de ce chef-d’ouvre. Sans compter qu’on n’a pas évacué un des aspects souvent négligés lors d’adaptations de la pièce: les autres relations amoureuses possibles dans cet univers trouble…

Pour camper les deux rôles principaux, Martine Beaulne recherchait la fraîcheur de la jeunesse et l’impression de gémellité. «Roméo et Juliette sont adolescents. Le rite initiatique propre à l’éveil de la sexualité nécessitait l’apport de jeunes comédiens. Je les voulais à la fois semblables et complémentaires», dit-elle en parlant d’Isabelle Blais et de Danny Gilmore, qui ont eu l’heur de combler ses attentes au-delà de ses espérances. L’affiche du spectacle est éloquente. Ces deux corps réunis, confondus et confondants, témoignent de cette croyance qui se perd dans la nuit des temps: il existe, quelque part, cette autre part de soi-même dont on a été séparé. Les expressions coup de foudre, douce moitié, et tout le vocabulaire du même registre, sont issus de cette légende d’unité brisée. Et dans le cas de Roméo et Juliette, les notions d’urgence et d’impossibilité exacerbent l’aspect fusionnel de la rencontre. N’y a-t-il pas d’amour plus intense et plus troublant que celui dont on presse la date d’expiration?

Le 9 mars
+ la salle Albert-Rouseau
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