Claude Poissant/Lorenzaccio : On ne badine pas avec Musset
Après avoir monté Marivaux et Hugo, le metteur en scène CLAUDE POISSANT s’attaque au drame romantique de Musset, Lorenzaccio. Avec la complicité d’un comédien fidèle, Luc Picard, qui incarnera le rôle-titre.
À quelques jours de la première de Lorenzaccio, au Théâtre Denise-Pelletier, Claude Poissant affiche une confiance surprenante. Habituellement, le metteur en scène est loin d’être aussi serein. Angoissé de nature, à l’approche de la livraison d’un nouveau spectacle, Poissant succombe davantage au syndrome du doute chronique. Surtout lorsqu’il s’agit d’un chef-d’ouvre d’Alfred de Musset, un classique qui a ses habitudes à la Comédie-Française, et qui a été éprouvé par des metteurs en scène de renom, de Jean Vilar à Georges Lavaudant, en passant par Franco Zeffirelli.
«Mon moral est bon, et ma santé aussi. Je n’ai même pas eu l’inévitable grippe de l’hiver. Je ne sais pas si cette production de Lorenzaccio va être bien accueillie… Mais je suis content de mon travail. J’ai l’impression de raconter une histoire extraordinaire. Et vous savez quoi? J’envie les comédiens de jouer dans une pièce comme ça!»
N’allez pas croire que Claude Poissant chôme durant les répétitions. De son propre avis, c’est la plus exigeante production qu’il ait signée en vingt ans de métier. En termes de logistique et de contenu: grosseur du plateau; nombre de comédiens et de personnages; ampleur de ce texte de 200 pages qui comprend 38 tableaux dans 38 lieux différents, avec une structure séquentielle plus proche du scénario de cinéma que des trois unités du théâtre classique. «Mais je suis en pays de connaissance, explique le metteur en scène. J’ai déjà travaillé au Théâtre Denise-Pelletier. Je suis familier avec ce style d’écriture ayant déjà monté des pièces de Marivaux et de Victor Hugo. D’ailleurs, on dit souvent de Musset qu’il marie le génie du théâtre élisabéthain à celui de Marivaux. Et on compare Lorenzaccio à un Hamlet français.»
Autre circonstance atténuante à la grosseur de l’entreprise, Poissant est accompagné par un complice de longue date: Luc Picard. Ce dernier défend l’exigeant et complexe personnage de Lorenzo de Médicis; un rôle créé par Sarah Bernhardt en 1896, et immortalisé par Gérard Philipe au Palais des Papes d’Avignon en 1952. « Nous nous connaissons depuis le Conservatoire (d’art dramatique de Montréal), et j’ai dirigé Luc (Picard) dans six spectacles depuis une dizaine d’années, rappelle Poissant. Un de nos rêves, c’était de faire Hamlet ensemble. Mais l’occasion ne s’est pas présentée. Quand Pierre Rousseau (le directeur du Théâtre Denise-Pelletier) m’a offert de signer la mise en scène de Lorenzaccio, j’ai tout de suite appelé Luc. Mais j’ai mis une condition sine qua non: ne rien prendre pendant les quatre mois précédant la première, afin qu’il se consacre uniquement à Lorenzaccio.»
Quel est le principal atout de cet acteur populaire pour défendre ce personnage «hénaurme» et tourmenté? «Luc est un comédien qui a un sens de l’analyse du texte extraordinaire. C’est d’autant plus incroyable que Luc n’est pas un acteur issu du classique. Sa culture est beaucoup plus proche du cinéma américain que de la littérature romantique française. Mais il a un souci de perfection et une soif de certitude qui vont de pair avec les exigences techniques et intellectuelles des grands classiques.»
Autour de Luc Picard, 23 acteurs de toutes les générations et de tous les horizons se retrouveront sur le plateau du Théâtre Denise-Pelletier. De vieux routiers tels que Jean-Louis Roux et Nathalie Naubert côtoient des plus jeunes: Christian Brisson-Dargis, Maxim Gaudette, François-Étienne Paré, Bobby Beshro… Entre les deux, des figures intermédiaires tels Benoît Dagenais, Sophie Vajda, Denis Roy…
Claude Poissant s’est également entouré d’une solide équipe de concepteurs: Raymond-Marius Boucher, au décor; Alain Lortie, aux éclairages; et Catherine Gadouas à la musique. Le mot d’ordre de la production est «un traitement moderne, et une inspiration d’époque».
«Il y a des couches et des couches de sens dans Lorenzaccio. C’est comme une cotte de mailles. Une multitude d’anneaux imbriqués les uns dans les autres, et qui sont inextricables. C’est ça, pour moi, la force du théâtre romantique. Chaque personnage a son dilemme, son énigme. Musset a installé un tas d’intrigues amoureuses, politiques, philosophiques et humanistes qui finissent par se rejoindre.»
Quelle interprétation le metteur en scène veut-il donner du chef-d’ouvre? «Je ne veux pas jouer au metteur en scène qui a son idée ou son message à livrer. C’est sûr que je développe certains thèmes. Mais je ne les souligne pas au crayon gras. Je réalise que l’ouvre est plus riche que toutes les intentions ou les lectures qu’un metteur en scène voudrait y mettre. L’enjeu, c’est d’incarner ce sentiment de déséquilibre face à la vie, que Lorenzo traîne tout au long de la pièce. Et qui le pousse à aller au bout de son énigme.»
Cette pièce est-elle résolument moderne? Voilà ce que le Larousse en dit: «Le problème de l’engagement, les risques de l’action politique, l’aspiration à la liberté des peuples constamment bafouée par l’oppression, le rôle de l’art vis-à-vis de l’État, les justifications du terrorisme ainsi que, aussi, le soupçon et le désespoir finalement vainqueurs: toutes ces questions font de Lorenzaccio une pièce profondément moderne et profondément politique.»
Du 17 mars au 10 avril
Au Théâtre Denise-Pelletier
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