L'Asile : Éloge du chaos
Scène

L’Asile : Éloge du chaos

De Cabaret Neiges noires à Don Quichotte, le théâtre de Dominic Champagne est une quête qui balance entre l’anarchie et la recherche du sens, entre le cynisme et la candeur, entre la nostalgie de ce paradis perdu que sont les grands idéaux, et la dérision de celui qui constate la «mort du rêve» collectif. Entre la volonté de changer le monde et l’impossibilité d’y parvenir. Un théâtre qui repose sur la tension des contraires et qui, jusqu’à maintenant, était plus de l’ordre de la quête inachevée, du constat sans espoir mais coloré, que de l’affirmation.

L’Asile, son étrange nouveau spectacle créé à la Cinquième salle, se veut une grosse allégorie existentielle qui bascule dans l’irrationnel, et où le culte du désordre nous mène dans un cul-de-sac. Ici, le paradis perdu n’est plus d’ordre social et contestataire, mais de nature primitive. La pièce raconte la dérive d’une sainte psychiatre (Monique Mercure) qui, au contact d’une jeune incurable (Julie Castonguay), réfugiée dans un univers parallèle, est amenée à revoir sa conception de l’existence. Happée dans le délire de sa patiente, la bonne docteur entraîne ses malades dans une sorte de retour à l’état de nature, à «l’enfant sauvage» enfoui au fond de chacun…

Face à la déraison du monde, auquel le rationnel n’apporte pas de réponses, faut-il vainement tenter de le changer, ou décrocher de la société et chercher l’asile d’un (supposé) bonheur originel? La question n’est pas inintéressante, mais Champagne manie ces grands questionnements avec de gros sabots. Guidé par une narratrice-témoin (Marie Brassard) qui prend le public par la main, le texte confine à la démonstration. «La vie n’a pas de sens», nous assène-t-on de but en blanc, en ouverture et en conclusion de spectacle, telle une grande découverte. Rien que ça! Pour plus de subtilité sur le sujet, relire les pièces de Beckett ou des grands maîtres de l’absurde…

À côté de ce texte en mal de raffinement, émergent, en première partie tout au moins, de beaux moments, habités d’humour ou de poésie. Rompu aux grosses distributions (ils sont 27 sur scène!) et à l’anarchie maîtrisée des débordements scéniques, le metteur en scène a tiré le meilleur des mouvements d’ensemble, séquences vivantes saisies dans toute leur démesure sans que la cohésion n’en souffre. Sa «nef des fous» est peuplée de prenantes figures d’humanité égarée, témoins d’un monde lui aussi perdu dans la violence. Un homme qui parle à une corde comme si elle représentait son enfant décédé; un minuscule vieillard qui traverse la scène au ralenti; un grand «barnicleux» qui parle tout le temps; un nationaliste qui gueule… La distribution, composée, à quelques exceptions près, d’acteurs peu connus et de non-professionnels, donne une grande conviction à cette cohorte d’insensés.

Magnifiquement éclairé par Alain Lortie, L’Asile baigne parfois dans une belle texture onirique, qui oscille entre le chaos de cette polyphonie d’obsessions et l’harmonie que le docteur tente d’imposer à force de patience, d’humanité et de musique. La scène où elle transforme l’asile en orchestre (au son mélancolique d’un quatuor à cordes de Beethoven, décomposé par les bons soins de Jean-Frédéric Messier), atteint à une beauté émouvante. D’ailleurs, tout le groupe de patients est utilisé un peu à la manière d’un orchestre, leur délire tissant une trame qui forme les points et les contrepoints de la déchéance du personnage central.

Malheureusement, tout ça finit par piétiner… En seconde moitié du show, alors que le docteur dérape dans la folie (et que, du même coup, l’interprétation de Monique Mercure perd toute justesse), ça se gâte sérieusement. On patauge en eaux confuses, s’enfonçant dans le chaos brut et outrancier d’un retour à l’être primitif. Malgré quelques éclairs d’humour, on sent plus de naïveté que de dérision chez le coauteur de Cabarets devant l’échec de cette entreprise.

Délibérément ou pas, la création du Théâtre il va sans dire nous laisse donc devant la même question que l’Existence: Où tout cela nous mène-t-il donc?

Jusqu’au 20 mars
À la Cinquième salle de la PDA
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