Scène

Mathieu Gratton / Debout sur ma tête : La business de l’humour

Les artistes sont parfois des agneaux sacrifiés sur l’autel du show-business. C’est le cas de Mathieu Gratton. Dans ma carrière de critique, rarement ai-je vu un interprète – ayant visiblement beaucoup de talent – aussi mal conseillé et dirigé dans l’aventure toujours risquée d’un premier show.

Mercredi soir dernier, au Studio du Musée Juste pour rire, Gratton faisait «sa rentrée montréalaise» avec Debout sur ma tête. «Casse-cou» aurait été un titre plus approprié… Car, avec son one man show, le jeune humoriste semblait avancer périlleusement sur le fil de fer de ses ambitions.

Le membre du duo Crampe en masse – avec Ghyslain Dufresne, qui fait ici quelques brèves apparitions – a livré une prestatiton assez décevante qui ressemblait à un show de cégep. Il est difficile de savoir où l’entreprise a avorté: faiblesse du matériel, carence au niveau de l’écriture, ou manque de temps et de moyens (les éclairages et la technique étaient rudimentaires; on ne fournissait aucun programme ni dossier de presse à l’entrée, comme c’est la règle lors d’une première)?

À première vue, il est évident que Gratton est plus à l’aise avec les chansons – testées avec succès à la radio et à la télé (Black-out) -, qu’avec le stand up. Ses numéros vont dans tous les sens. Dans un même sketch, Gratton passe du naufrage du Titanic aux cellulaires, de Céline Dion aux appels 911, sans véritables charnières. On a parfois l’impression que le comique n’a pas trouvé l’angle ou le véritable sujet du numéro qu’il livre. Le spectateur a de la difficulté à suivre les méandres de ses farces. D’autant plus que certains numéros s’étirent péniblement et que le punch final est souvent faible.
Dans l’ensemble, les thèmes choisis sont assez convenus. Ce qui étonne de la part d’un artiste de la relève tentant de se démarquer des plus vieux. Et ce n’est pas en demandant à son auditoire «qui a déjà fumé du pot?», que Gratton brisera les limites de l’audace… en 1999. Sinon, l’humoriste verse surtout dans la quotidienneté avec des sujets aussi truculents que Réno-Dépôt, la loterie, les vidanges, les panneaux de signalisation routière ou les guichets automatiques. Certes, le quotidien est une source inépuisable d’inspiration. Or, Gratton manque de finesse et d’originalité dans ses observations. Parfois, il fait penser à Jean-Marc Parent avec les jokes de cul et de marde – souvent vulgaires – ou à Patrick Huard avec les sempiternelles histoires de gars-incompris-par-sa-blonde… Sauf que le style de Huard ou de Parent ne colle pas à la personnalité scénique plutôt réservée du garçon aux cheveux longs et aux traits délicats.

Dommage, car l’interprète est capable de livrer la marchandise. Il possède une bonne dose de charisme et une belle sensibilité. Mais ce n’est pas suffisant pour se tailler une place au panthéon de l’humour québécois. Mathieu Gratton devra se distinguer des autres humoristes et s’entourer d’une bonne équipe de scripteurs pour ficeler l’écriture de ses textes. Sinon, il ne sera qu’un autre produit jetable lancé par un milieu avide de nouveaux visages et de succès instantané. Et les patrons de TQS et de CKOI FM – qui présentent et commanditent le spectacle – auront alors les yeux tournés vers une autre verte recrue…

Les 11, 17 et 31 mars
Au Studio du Musée Juste pour rire
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