Bernard Gilbert : Opéra ou Le Livret d’Isabelle
Jusqu’au 21 mars
Au Studio In Vitro
Étrange aventure que celle à laquelle nous convie Bernard Gilbert avec Opéra ou Le Livret d’Isabelle. D’abord parue sous forme de récit poétique, l’ouvre se veut maintenant prestation théâtrale, dans une interprétation de la comédienne Marie Gignac. Mais dégager le verbe de son enveloppe purement littéraire n’est pas une mince affaire. Le théâtre possède une spécificité et un point de vue qui imposent certaines règles. La transposition sur scène d’un langage artistique autre demande un effort de communication afin d’établir l’essentiel fil conducteur entre l’émetteur et le récepteur. En l’espèce, la transmission de l’histoire connaît certains ratés, malgré un investissement physique et émotif impressionnant de la part de Marie Gignac. Cela dit, l’idée de départ n’en demeure pas moins intéressante.
Femme en sursis d’une folie qui coule dans ses veines, Isabelle se présente à nous drapée dans une dignité dont la façade se fissurera rapidement. Un bureau de psy, où elle sera à la fois patiente et inquisiteur du mal qui la ronge, sert de lieu de rencontre entre elle et son destin. De son passé on ne découvrira les clés qu’à la fin, lorsqu’elle offrira son livret, après avoir voyagé à travers les époques. Trois héros d’opéra lui servent d’ancrages et de catalyseurs: Orlando, Lucia de Lammermoor et Wozzeck. Trois démesures, trois ères spécifiques. Et tous, du baroque à l’expressionniste en passant par le romantique, permettent à Isabelle de se mettre au monde, de s’expliquer, voire de se justifier. On assiste au dernier acte de la vie de cette femme qui n’eut de cesse d’aller au bout de ses passions. Quitte à en payer le prix, quitte à en perdre l’esprit.
Le rapport que Bernard Gilbert établit entre l’art, l’hypertrophie des sentiments et l’impossibilité de vivre l’excès au quotidien est fascinant. Dans une société où le moindre pas dans une avenue biscornue s’inscrit comme symptôme de dérèglement dangereux et où les sentiments sont classés par ordre de normalité, il fait bon respirer l’air de la marginalité. Gill Champagne et Jean Hazel ont su créer un environnement adéquat, misant entre autres sur d’habiles jeux d’ombres et de lumières. Mais l’ensemble ne s’est pas assez distancé du matériau originel. On se retrouve quelque part entre le récital et le théâtre proprement dit. Résultat: on apprécie le contenu tout en souffrant de ne pas être pleinement touché par celui-ci.