Larry Tremblay : Violence et tendresse
Petit à petit, un autre Tremblay s’impose dans le paysage théâtral québécois. Avec Les Mains bleues, l’auteur et professeur d’art dramatique à l’UQAM signe sa quatrième pièce en sept ans au Théâtre d’Aujourd’hui.
Larry Tremblay vit une histoire d’amour avec le Théâtre d’Aujourd’hui. Depuis 1992, il fait régulièrement partie de la programmation de ce théâtre voué à la promotion de la création québécoise. Après La Leçon d’anatomie, The Dragonfly of Chicoutimi et Ogre, Les Mains bleues sera sa quatrième pièce à l’affiche du théâtre de la rue Saint-Denis, dès le 26 mars.
À la lecture de cette pièce tendre et violente, on peut croire que ce sera un autre beau rendez-vous pour cet auteur, dont la parole sera livrée par les comédiens Sylvie Drapeau et Hugues Frenette, dans une mise en scène de Martin Faucher.
«Je me sens choyé. C’est une preuve d’affection et de fidélité de la part de ce théâtre. Je ne suis plus un jeune auteur – j’ai 44 ans – et je ne suis pas un auteur reconnu. Je suis entre les deux, dans une espèce de no man’s land. C’est rassurant de réaliser qu’une institution croit en vous.»
Comédien et metteur en scène autodidacte, professeur et auteur, poète et spécialiste de kathakali, Larry Tremblay ne se cache pas de porter plusieurs chapeaux. Entre l’enseignement à l’UQAM et la recherche pour le Laboratoire gestuel (LAG) qu’il a fondé, Tremblay élabore depuis une dizaine d’années une ouvre dramatique personnelle et originale. Son premier succès remonte à 1995, avec The Dragonfly of Chicoutimi, un monodrame sur la quête de l’identité et la brûlure de l’enfance, défendu avec brio par le grand Jean-Louis Millette.
Larry Tremblay est aussi de plus en plus joué à l’extérieur du Québec. L’automne dernier, La Leçon d’anatomie a tenu l’affiche pendant trois mois à Mexico. Les Mains bleues est actuellement présentée à Paris, au Théâtre de l’Atalante, en alternance avec une autre de ses pièces, Le Déclic du destin, dans des mises en scène de Michel Cochet.
Autodidacte et globe-trotter, l’homme de théâtre a reçu sa «vraie formation» lors de ses nombreux séjours en Inde, dans les années 80. Dix heures de kathakali par jour, des stages en formation du corps et en arts martiaux ont changé sa vie et sa vision du monde.
«Avant d’apprendre le kathakali, le fossé entre mon corps et ma tête était immense. J’étais trop cérébral. Je n’arrivais pas à canaliser la violence en moi. J’avais la dent dure. On a tous de la violence en soi. Avec le kathakali, j’ai appris à sublimer cette violence. Le kathakali, c’est aussi un art martial. Dans les arts martiaux, la violence devient gestuelle, concentration et discipline. Aujourd’hui, je peux donc la transmettre à travers des personnages.»
La belle et la bête
Dans les pièces de Larry Tremblay, il y a souvent un conflit entre la tête et le corps, l’émotif et le cérébral. Dans Les Mains bleues, l’auteur pousse un peu plus loin cet antagonisme. Il raconte une histoire où le merveilleux côtoie la beauté. La tension entre l’animalité et l’humanité des êtres s’exprime par la voix de deux personnages: un homme au visage difforme et une femme avec une tête de chien.
Comme dans toutes les pièces de l’auteur d’Ogre, l’histoire n’est pas simple. Le communiqué de la production en fait ainsi le résumé: «Jérémie, un homme abandonné, mi-adulte mi-enfant, est accaparé par des souvenirs de son enfance qui sortent de sa bouche par bribes. Il essaie d’en saisir le sens. La beauté de la vie s’incarne devant lui pour l’aider à se délivrer d’une peur viscérale et à connaître enfin le simple bonheur d’être humain.»
«Pour moi, explique Tremblay, Jérémie représente un itinérant, au visage ravagé et se parlant à lui-même, qu’on croise dans les rues du centre-ville. Quand je me rends à l’UQAM, je vois des itinérants tous les jours. Et, chaque fois, je me dis qu’ils ont déjà été des bébés tout roses. Puis un jour, quelque part dans leur vie, tout a chaviré.
«Dans mon mot au programme, j’ai écrit cette phrase: "Ne pas être aimé: la plus grande blessure." La blessure de Jérémie, c’est le désamour de ces gens-là qui sont rejetés, marginalisés par la société. Jérémie est un emblème de la marginalisation affective et sociale.»
«Every man kills the things he loves», disait Oscar Wilde. L’histoire de Jérémie, c’est aussi celle d’un homme qui détruit ce qu’il aime. «Les Mains bleues expose aussi la problématique de la transmission de la violence d’une génération à l’autre, explique le dramaturge. Comment peut-on arrêter le cercle vicieux de la violence? Ne pas s’aimer, c’est aussi se faire mal, s’amputer et, finalement, se tuer.»
L’enfance, la violence, le manque d’amour; décidément, le théâtre de Larry Tremblay ne donne pas dans le rose bonbon… «Après avoir vu mes pièces, les gens sont souvent persuadés que je suis un homme perturbé, ravagé. Au contraire, j’écris avec énormément de joie et d’excitation. Et je n’ai pas eu une enfance malheureuse…
«Le théâtre, c’est le lieu par excellence de l’imaginaire et de l’altérité, conclut-il. On ne peut pas écrire du théâtre en faisant abstraction de l’autre. J’ai probablement en moi des pulsions sombres mais je ne veux pas réduire mon théâtre au côté psychologique. Car je ne passe pas par moi, mais par les autres.»
Du 26 mars au 24 avril
Au Théâtre d’Aujourd’hui
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