Denise Guilbault : Coup double
DENISE GUILBAULT travaille deux fois plus ces jours-ci. Dans le cadre de la série Motel de passage, le Théâtre de Quat’Sous lui a demandé de signer les mises en scène de deux pièces du Torontois George F. Walker. Deux univers, une même vision.
Créée en 1997 à Toronto par le Factory Theater, la série Motel de passage comporte six pièces signées par le réputé dramaturge canadien-anglais George F. Walker. Si les théâtres peuvent monter les pièces une à la fois ou la totalité de la série, le Théâtre de Quat’Sous a décidé d’en programmer trois cette saison. Le directeur du Quat’Sous, Pierre Bernard, a brillamment dirigé L’Enfant-problème, l’automne dernier. Cette pièce, qui a valu à son auteur un septième prix Chalmers – les Masques de la Ville-Reine -, sera suivie de Pour adultes seulement et du Génie du crime, qui pourront être vues simultanément au Quat’Sous ce printemps.
Ceux qui ont été touchés par L’Enfant-problème retrouveront des univers familiers dans les histoires des personnages des pièces suivantes, qui se déroulent dans la même chambre de ce motel minable en banlieue d’une grande ville canadienne. Walker écrit à propos de gens bien ordinaires qui vivent des situations extrêmes, et des choses épouvantables. Un monde sordide qui est tout près de nous, mais dont on préfère feindre d’ignorer l’existence.
Pour adultes seulement est une pièce cynique sur la relation clandestine entre une avocate blasée (Louise Bombardier) et un policier marié (Marcel Lebouf). Dans ce monde, \«tout se marchande car tout a un prix».\* Avec Le Génie du crime, on change de registre. Comédie burlesque versant à la fin dans le tragicomique, la pièce raconte les mésaventures de deux petits criminels qui kidnappent la cuisinière du restaurant qu’ils devaient incendier.
\«Ce qui est fabuleux, chez Walker, c’est la cohabitation de l’humour et du pathétique, de la dérision et du drame, explique Denise Guilbault, qui signe les mises en scène des deux pièces. Son écriture est très directe. On ne peut pas tomber dans le psychologique. Les personnages carburent à l’urgence. Ce sont des personnages Teflon. Des gens lucides mais dont la survie dépend de leur faculté de décrocher. Pour garder le contrôle, ils doivent s’arranger avec leur conscience. Brecht a dit que "l’être social détermine la pensée". J’ai rencontré un avocat qui me disait comment des criminels s’arrangaient avec leur conscience. Un tel dit: "Moi, je vole des maisons privées mais jamais de dépanneurs!" Un autre tueur affirme qu’il ne touche jamais à une femme enceinte! D’une certaine façon, tout être humain fait ça; pour survivre, il faut parfois soulager sa conscience.»
Le théâtre de Walker dépeint un monde qui nous dérange parce qu’il remet en question notre confort et notre indifférence. Mais cet auteur ne donne pas de réponses, ne juge pas ses personnages. «**S’il y avait un sous-titre à donner aux pièces de Walker, dit Guilbault, ce serait: "C’est la faute à qui?" Tout le monde a une raison pour justifier son drame. Ce que j’apprécie chez Walker, c’est qu’en plus de ne pas juger, il ne rend pas ses personnages plus sympathiques qu’ils ne le sont.»
Sour aînée de la comédienne Élise Guilbault, la metteure en scène se lançait elle aussi vers une carrière sur les planches au début de la vingtaine. Mais elle a opté pour l’enseignement plutôt que la scène. Depuis que Pierre Bernard a réuni les deux sours dans Le Cryptogramme de David Mamet, en 1997, Denise Guilbault est devenue une figure un peu plus publique.
\«Ce que j’aime dans ma nouvelle vie, c’est de travailler avec des matériaux de si grande qualité, des acteurs comme Gilles Renaud, Monique Spaziani ou ma sour. Je suis arrivée à un âge, la jeune quarantaine, où je peux faire des choix. Et je veux travailler dans l’harmonie.»
Au Quat’Sous, elle a certainement trouvé un lieu favorable à ce climat, puisqu’avec ces deux nouvelles mises en scène, Denise Guilbault y a dirigé quatre spectacles en deux ans. Partage-t-elle la même vision de son art que le directeur du théâtre de l’avenue des Pins? \«Je suis moins missionnaire que Pierre, dit-elle. Mais Pierre et moi avons une chose importante en commun, ce qui explique pourquoi je travaille souvent au Quat’Sous: nous sommes fascinés par l’histoire avec un petit h. Nous ne sommes pas vraiment intéressés par le fait que la Russie a envahi la Pologne en telle année; ou par tel récit héroïque. Nous sommes davantage préoccupés par le fait divers, l’antihéros, le petit h de l’humanité.»
Pourtant, le dernier spectacle que vous avez dirigé au Quat’Sous, L’Abdication, racontait l’histoire de la reine Christine de Suède… Est-ce une exception?
«Pas vraiment. Car ce qui nous fascinait, Pierre et moi, ce n’était pas la reine, mais la femme qui doutait. Le drame de la petite Christine. Celui de l’amante solitaire et désolée qui, lorsque la cour affirmait: "Mais le peuple vous aime!"répondait: "Ah, eh bien! Emmenez-le dans ma chambre…" »
Pour adultes seulement
Du 5 avril au 22 mai
Le Génie du crime
Du 19 avril au 22 mai
Au Théâtre de Quat’Sous
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