Habituées de fouler les planches, Marcelle Hudon et Carole Nadeau les ont plutôt bricolées au cours des derniers mois. Avec leurs troupes respectives (Thriller à 5 ¢ et Le Pont Bridge), ces deux artistes multidisciplinaires ont transformé une ancienne «shop de laminage», rue Saint-Laurent, en un sympathique laboratoire de création: le Hors Bord.
Réunies dans un programme double, les pièces présentées dans cet espace intime d’une trentaine de places mêlent habilement le théâtre aux technologies. La première ouvre proposée, Les Portraits de la Renarde, est un suspense créé par le groupe Thriller à 5 ¢ et retransmis en direct sur un écran. Un projet sur lequel Marcelle Hudon bûche depuis près de cinq ans, et dont une première mouture, Mme Chen, a été présentée en juin 1997 à Tangente.
Sur scène, une drôle de créature, Molly Trench (Marcelle Hudon, pétillante) est soupçonnée d’avoir rayé de la carte un homme d’affaire chinois au portefeuille bien garni. Traquée par une équipe de tournage qui tente de reconstituer les faits, l’intriguante à l’accent coloré clame son innocence.
Grâce à un travail méticuleux qui respecte les conventions du genre, et en particulier à la musique «psycho» de Tom Walsh, l’équipe de Marcelle Hudon se sert du thriller comme d’un tremplin pour nous plonger dans un univers ludique d’une grande poésie. À l’aide de figurines, d’accessoires et d’un masque, la marionnettiste produit des effets inattendus et parfois hilarants, amplifiés par la loupe de verre de la vidéaste Manon Labrèque.
Jeux d’ombres, vidéos en direct, marionnettes devenant géantes à l’écran, et bruiteur (Sabin Hudon) présent sur scène, Marcelle Hudon emboîte sans heurt les morceaux de son ouvre. Résultat: une pièce plus près de l’ouvre artisanale que de l’exploit high-tech, qui utilise les conventions du thriller pour mieux dérouter le spectateur. Si le thème du trafic de l’image par les médias a une odeur de déjà-vu, le fait qu’il soit apprêté par une manipulatrice de métier ajoute du piquant à la chose.
Après une pause d’une heure, c’est dans un Hors Bord étouffant qu’un drogué à l’air intello (Alain Pelletier) se cloître pour une étourdissante cure de désintoxication. L’atmosphère lourde qui baigne sa chambre du 109, rue de Quincey contribue à créer l’impression d’être à l’intérieur même des pensées de cet adepte des stimulants qui s’écrit des lettres philosophiques, entre deux soliloques et trois gouttes de «z», la drogue qui met du rose dans sa grisaille quotidienne.
La scène est très dépouillée: un lit, une table et une grande fenêtre (en projection vidéo) composent une chambre qui s’anime et se transforme au gré des délires de notre homme. D’apparence toute simple, le dispositif scénique imaginé par Carole Nadeau, Louis Hudon et Alain Pelletier plonge le spectateur dans un univers qui stimule les sens.
Si cette «méditation poétique sur les dimensions du temps et de l’espace» ravit par sa maîtrise technique, son contenu apporte peu à l’expérience sensorielle en cours. Bien que les extraits choisis d’Artaud, Cioran, Cocteau, Wilde et autres soient des bijoux empreints d’un humour en coin, le texte se révèle trop éclectique pour soutenir l’intérêt. Toutefois, l’environnement scénique imaginé par la troupe Le Pont Bridge ainsi que le jeu allumé d’Alain Pelletier rachètent les quelques longueurs du texte.
Finalement, l’expérience «totale» qu’offre ce programme double a le mérite de combler les sens du spectateur tout en lui permettant d’entrer en communion avec ceux qui s’activent à la portée de sa main…