Walter Boudreau/Ginette Laurin : Un mariage idéal
Extrait de répétition en RealVideo
La compagnie de danse O Vertigo célèbre son quinzième anniversaire en s’unissant à la Société de musique contemporaine du Québec, le temps d’un spectacle-événement. Voir a rencontré les deux instigateurs de ce projet.
Au Québec, il est rare que les compagnies de danse s’offrent un orchestre live pour accompagner leurs chorégraphies; il est également exceptionnel que des danseurs complètent les spectacles des ensembles musicaux. C’est en lançant un appel à quelques chorégraphes montréalais que le directeur artistique de la Société de musique contemporaine du Québec, Walter Boudreau, a reçu une réponse favorable de Ginette Laurin, directrice artistique d’O Vertigo.
Si la SMCQ réalise un rêve en élaborant ce spectacle de danse avec orchestre sur scène, O Vertigo célèbre ainsi son quinzième anniversaire. La Vie qui bat, toute dernière chorégraphie de Ginette Laurin, inspirée par Drumming du compositeur américain Steve Reich, est donc une sorte de cadeau à la fois pour le public et les interprètes du spectacle. Nous avons rencontré les deux directeurs à la veille de la première de cette collaboration extrêmement stimulante.
Voir: Walter Boudreau et Ginette Laurin, comment vous êtes-vous décidés pour Drumming, de Steve Reich?
W.B.: On fouinait, et j’ai dit à Ginette: écoute Drumming. Pour le timing, c’était parfait, ça dure près d’une heure. Nous avons digéré ça lentement, et finalement, elle m’a dit que ça l’intéressait.
G.L.: Il y avait une ouvre pour six pianos, qui était ma préférée, mais c’est très difficile à trouver, six pianos à queue! Alors on s’est tourné vers Drumming, que j’aime beaucoup. Cette pièce laisse beaucoup de place à la danse, tout en ayant une structure assez rigide, complexe. On n’a pas le choix de la suivre, bien que parallèlement, d’une certaine façon, et c’est un défi intéressant pour un chorégraphe. Juste avant que Walter m’appelle, j’avais justement lu un livre d’un professeur de percussion dans une école de danse. C’est un livre merveilleux sur le rythme, et ça m’a beaucoup inspirée. Je voulais même faire ma prochaine chorégraphie à partir de ça. Mais Walter m’a téléphoné avant.
Les danseurs vont danser en présence de musiciens; quelle différence cela fait-il? Y a-t-il un défi sur scène?
G.L.: Ce n’est pas le même son, d’abord. Ensuite, les musiciens sont sur la scène, je veux qu’ils fassent partie de la danse.
W.B.: Quand nous avons commencé à répéter, la semaine dernière, les danseurs se sont un peu emballés! C’est tellement excitant comme situation. Ginette a compris quelque chose dans Drumming qui est formidable. Quand on l’exécute musicalement, on se rend compte que c’est une oeuvre hypnotisante et très dangereuse, parce qu’elle procure un plaisir immédiat à celui qui la joue. Je m’explique: l’incantation rituelle de la rythmique qui est dans cette oeuvre-là fait qu’on peut à la fois s’en détacher, planer au-dessus, ou rester au niveau purement organique, celui où la musique se fabrique. Je me suis vu sortir de moi en répétition, ce que je ne peux absolument pas me permettre en tant que musicien. Il faut que je résiste au plaisir; tandis que Ginette, elle, n’a pas résisté!
Comment arriver, pour les musiciens, à être parfaitement en accord avec la chorégraphie?
W.B.: Contrairement à son habitude, Ginette aà fait sa chorégraphie sur une musique déjà existante, alors que de coutume, elle y appose la musique. La version sur disque de Drumming qu’elle a utilisée pour faire sa chorégraphie est donc devenue la version de référence, pour nous, à la SMCQ. Comme c’est une ouvre minimaliste avec un grand nombre de répétitions de motifs, le chef a le loisir, lorsqu’il dirige en concert, de décider du rythme à adopter pour passer à travers chacune des sections. Cette fois-ci, nous n’avions pas le choix, puisqu’il fallait reproduire fidèlement, live, la version enregistrée. Ç’a été un travail terrible, parce qu’il a fallu que je m’assoie et que je décortique l’oeuvre, que je détermine exactement le nombre de fois que chaque motif est répété. Il a fallu aussi que je convertisse les minutages qu’utilisait Ginette en tempos pour les musiciens, et que je réajuste tout ça.
Si ce n’est pas le travail habituel d’un chef d’orchestre de partir d’une version sur disque, vous, Ginette Laurin, n’êtes pas habituée à travailler à partir d’une ouvre musicale. Comment avez-vous aimé l’expérience?
G.L.: J’ai trouvé ça intéressant, mais je n’ai pas toujours suivi la structure musicale. C’est-à-dire que j’ai une structure rythmique parallèle à celle de la musique. J’ai beaucoup travaillé avec l’idée de continuité et de transformations contenue dans l’oeuvre, transformations qui nous amènent vers d’autres états. C’est un peu comme ça chorégraphiquement, bien que ça soit quand même indépendant. On n’a pas le choix de suivre la pulsation, parce qu’elle nous rentre dedans, mais on compte souvent différemment des musiciens. Ça donne des mélanges heureux entre les rythmes sonores et visuels.
D’autre part, cette musique-là impose une danse beaucoup plus épurée, beaucoup plus détachée de toute théâtralité. J’ai joué plutôt avec des états qu’avec une thématique théâtrale ou narrative. Je n’ai pas travaillé avec des images ou une tension dramatique. Je dirais que la tension s’installe automatiquement avec la musique…
Votre précédente chorégraphie, En dedans, était quand même épurée et conçue à partir d’états. Est-ce que La Vie qui bat lui ressemble un peu?
G.L.: Oui et non. Avec La Vie qui bat, j’ai voulu jouer beaucoup sur les contrastes. Il y a un côté très cartésien dans la musique de Reich, mais il a créé Drumming après un voyage en Afrique, et je trouve que la pièce présente un aspect tribal. J’ai voulu jouer entre les deux. Ma chorégraphie présente aussi un côté urbain et un côté tribal, un côté cartésien et un aspect chaotique. Je dirais que le côté très doux d’En dedans ne s’y retrouve pas nécessairement. Dans ma structure chorégraphique, il y a souvent une superposition d’actions: quelque chose de très lent qui se passe autour, et, à l’intérieur, et autre chose de beaucoup plus dynamique. C’est surtout la superposition des deux actions qui crée l’état.
Alors, le public d’O Vertigo doit-il s’attendre à quelque chose de très nouveau, ou La Vie qui bat s’inscrit-elle dans une continuité?
G.L.: J’aime croire que chaque production est différente, mais la signature est toujours là. C’est encore le même mouvement, mais dans un autre concept. Ça varie d’un extrême à l’autre. Il y a des choses très simples, comme dans la section qui s’appelle «Le groupe urbain», où certains éléments sont simplement de petits gestes répétitifs, des gestes quotidiens; alors qu’à d’autres moments, c’est très chargé, très bavard, très musculaire aussi. Je pense qu’il y a un univers qui n’est pas inconnu à O Vertigo, mais que la structure est différente. Ça va vraiment du début à la fin, il n’y a pas de noir, ça défile et c’est vraiment de la danse pure.
Musicalement, le public va-t-il être surpris par le choix d’une musique aussi contemporaine?
W.B.: La musique répétitive est une musique très accessible, qui procure beaucoup de satisfaction, et je ne crois pas que Ginette Laurin soit reconnue pour chorégraphier Casse-Noisette!G.L.: C’est une musique facile, pour une musique du XXe siècle. Elle pénètre les gens tout doucement, sans trop de violence.
Le fait de s’offrir un orchestre live à l’occasion du quinzième anniversaire, est-ce que ça annonce un changement chez O Vertigo?
G.L.: Je pense que ça souligne bien nos quinze ans, faire quelque chose avec des musiciens. Ce sera la première fois qu’O Vertigo fait un show à vingt-cinq sur scène, et que nous travaillons avec une ouvre aussi puissante et énergisante que Drumming. J’aimerais bien que ça annonce un changement, mais il faudrait que les sous suivent!
Lorsqu’on vous écoute, Ginette Laurin et Walter Boudreau, on se demande pourquoi des associations comme la vôtre sont si rares?
W.B.: C’est bien simple, ça prend de l’argent! La danse et la musique, c’est vraiment un mariage idéal. On ne peut imaginer la danse sans musique, et la musique est une forme de danse des sons. Il y a vraiment un plaisir qui vient de la réunion des deux forces en présence. Les musiciens et les danseurs se donnent du plaisir, réciproquement, pour le plus grand bénéfice des spectateurs. Certaines personnes vont venir pour Drumming, d’autres pour la chorégraphie de Ginette. Alors, on fait un coup double, finalement. Ce que nous souhaitons, c’est que ça fonctionne bien, et que ça réveille des gens. Que certains se disent qu’on pourrait peut-être débloquer des fonds, ne serait-ce qu’une fois par année, pour ce genre de spectacles. La dernière fois, c’était il y a trois ans avec Montréal danse, pour Entre la mémoire et l’oubli. La fois précédente, c’était voilà douze ans. C’est un progrès!
Du 31 mars au 3 avril
Salle Pierre-Mercure du Centre Pierre-Péladeau
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