Éric Jean : Passer à l'acte
Scène

Éric Jean : Passer à l’acte

En compagnie de neuf comédiens, ÉRIC JEAN peaufine depuis trois ans une première création aux accents oniriques, qu’il met aujourd’hui en scène. Quand le rêve se fait réalité.

À sa sortie de l’UQAM, Éric Jean avait le choix: s’enfermer dans l’attente du coup de fil magique, ou prendre la clé des champs en se lançant dans la grande aventure de la création. Trois ans après avoir choisi de plonger corps et âme dans la mêlée, le comédien devenu auteur, concepteur et metteur en scène présente sa toute première ouvre. Montée à trois reprises en catimini, devant un public restreint, Une livre de chair sort de l’ombre pour briller sous les projecteurs de la salle Fred-Barry.

«J’ai essayé de créer un objet qui décolle du réel», explique Éric Jean. Pour y parvenir, il a imaginé, en collaboration avec neuf comédiens, une ouvre aux accents tragiques: une femme arrache les yeux de celui qui la quitte. Pour échapper à la vengeance de ce sculpteur devenu aveugle, elle trouve refuge dans un hôtel peuplé d’êtres dont les destins se mêlent étrangement au sien. Dans ce chassé-croisé surréaliste hors du temps, les murs bougent et des comédiens surgissent des meubles et manient un pistolet «à blanc de mémoire». «Je trouve stimulante l’idée de se mettre devant une vitre et de regarder les destins qui se croisent», s’enthousiasme le créateur, qui a emprunté le titre de sa pièce à un poème de Paul Éluard.

«La première étape de notre travail s’apparentait à la création collective. Puis, j’ai senti le besoin de coller un récit aux thèmes et au lieu choisi.» En constante évolution, la pièce s’est modelée en répétition autour des thèmes de la mémoire, de la création, de l’exil et de la solitude. «Durant cette période de création, une phrase me revenait toujours en tête: il faut laisser l’histoire s’écrire d’elle-même. Je voulais créer sans point d’arrivée, pour que la fin de la pièce s’impose et étonne. La décider d’avance, c’était faire mourir tout ce qui pouvait arriver de surprenant.»

Comme l’artiste qui sculpte son bloc de pierre, Éric Jean a créé une pièce «organique» dont chaque composante dépend des autres. «J’aborde le théâtre comme un tout. Par exemple, les comédiens ont influencé leurs personnages.» Il s’est aussi laissé imprégner des lieux de répétition. «La première version de la pièce, jouée dans un loft situé au dixième étage d’un édifice du centre-ville, comportait un coucher de soleil impressionnant. Avec la grande fenêtre que nous avions, c’était un magnifique effet d’éclairage!» Par la suite, le metteur en scène a dû s’adapter à un sous-sol miteux de l’avenue de Lorimier, où il a répété la deuxième mouture de la pièce.

«Durant les improvisations, j’intervenais souvent, en demandant aux comédiens de ne pas décrocher de leur rôle pendant que je leur glissais une indication à l’oreille.» La musique a aussi servi de déclencheur durant les répétitions. «Dans la pièce, la musique n’est pas un fond sonore mais plutôt un dixième personnage. Les comédiens en sont conscients et s’en servent.»

Modeste, Éric Jean aborde son expérience d’auteur et de concepteur en pesant ses mots. «Je souhaite captiver les gens en racontant une histoire, leur donner envie de connaître les personnages, les toucher. Je veux leur dire: "Flyons, décollons, sortons du conventionnel." Mon but ultime, et je le dis sans prétention, c’est de leur donner le goût de créer…»

À l’aube de la trentaine, le comédien, dirigé par Claude Poissant dans La vie est un songe, se double d’un metteur en scène qui apprécie son nouveau rôle. «Est-ce que je préfère jouer ou faire de la mise en scène? Je crois avoir besoin des deux. La mise en scène donne une plus grande liberté mais je ne veux pas être étiqueté metteur en scène et qu’on ne m’appelle plus pour jouer!» s’exclame-t-il.

Le directeur général du Théâtre de Quat’Sous, Pierre Bernard (qui, incidemment, a mis à l’affiche trois pièces de l’excellent dramaturge canadien-anglais George F. Walker se déroulant dans un motel), a vu dans le travail d’Éric Jean «une force d’imagerie vive, remplie de trouvailles extrêmement enthousiasmantes». Encouragé par les commentaires reçus, le dramaturge travaille, avec sa compagnie Persona Théâtre, à une deuxième création, Ushuaïa, inspirée d’une légende.

Ce dramaturge dont le but tout simple est de «raconter des histoires» semble être à des lieues de celui qu’Éluard décrit dans Une livre de chair comme «un homme dans le vide / un sourd, un aveugle, un muet». Il a une voix unique et une tribune où la faire entendre…

Du 7 au 25 avril
À la salle Fred-Barry
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