Danièle Desnoyers Discordantia : Le pari de l’opposition
L’ouvre de DANIÈLE DESNOYERS s’affirme par une gestuelle raffinée et des univers envoûtants. Discordantia, la sixième pièce qu’elle signe depuis la fondation de sa compagnie Le Carré des Lombes, possède la couleur de son amour pour la Russie.
Toute jeune, Danièle Desnoyers découvre la culture slave à travers la communauté russe du Bénin communiste où elle vit avec sa famille. «J’ai toujours conservé un grand intérêt pour ce qui est russe, raconte-t-elle. J’ai développé ma fascination pour le théâtre, pour la musique russe… Je pense que dans Discordantia, j’ai mis une certaine partie de mes propres souvenirs.» Elle a l’occasion de faire un séjour en Russie à l’hiver 1986. Déroutée par les conditions de vie que subissent les héritiers de cette grande culture, elle constate toutefois que les gens retrouvent la joie de vivre à l’intérieur de leurs maisons bigarrées, malgré la tristesse des lieux publics. Discordantia, la pièce pour six danseurs créée à son retour, offre le même contraste. «Il y a quand même une certaine grisaille dans la pièce: la scène est complètement dénudée, mais on voit des gens qui fabulent, qui se créent leur petit théâtre coloré et imagé, ce qui contraste avec des moments de solitude, des moments où on peut percevoir qu’ils ont une difficulté de vivre. Sans qu’on tombe dans la tragédie.» Au contraire, elle affirme qu’il se dégage d’eux une forte pulsion de vivre.
On raconte que, sous le régime communiste, la population russe se transmettait oralement la poésie interdite de Anna Akhmatova. Danièle Desnoyers a observé qu’il n’en demeurait que des bribes chez la jeune génération. «Je trouvais très intéressante cette espèce de disparition de la mémoire littéraire. On a travaillé beaucoup en atelier de création sur le phénomène de passation de la poésie (mais là, en l’occurrence, c’était la passation du mouvement dans le corps d’un interprète). C’est pour ça qu’il y a énormément de manipulations dans la pièce… Le mouvement est toujours donné par une personne extérieure.»
Dans Discordantia, la chorégraphe manie le paradoxe et la discordance. Le titre évoque, en fait, un accord musical dissonant, qui attire et repousse à la fois. Exceptionnellement, elle utilise une musique déjà écrite, celle de la compositrice russe contemporaine Sofia Gubaidulina. Pas question pour autant de suivre bêtement la trame sonore. «Parfois, elle est complètement en symbiose avec le mouvement. Parfois, il y a un détachement: c’est comme si les danseurs semblaient ne pas s’en préoccuper.» C’est d’autant moins évident que la musique s’impose par sa forte personnalité. Elle charrie les émotions dans tous les sens. N’a-t-elle pas eu peur qu’elle vole la vedette? «Mais elle la vole parfois! Je dis toujours que la musique, c’est la septième personne sur scène. Pour moi, la musique ne doit pas être mineure par rapport à la danse et vice versa. Souvent, en danse, il faut juste que la musique supporte assez pour ne pas déranger. Bien là, elle dérange.» Même philosophie pour ce qui est des costumes de Georges Lévesque, qui s’affirment franchement.
La distribution a changé depuis la création de la pièce en 1997. Anne Le Beau, Harold Rhéaume, Annie Roy et Catherine Tardif ont tous participé au processus original de création. L’arrivée d’Anne Bruce Falconer et de Jacques Moisan a amené la pièce à évoluer, au grand plaisir de Danièle Desnoyers qui redoute la stagnation. «C’est un art vivant, la danse. C’est important de laisser la pièce ouverte à ce qui peut arriver. Mais il faut faire attention d’en garder l’intégrité et de ne pas l’adapter au goût du jour ou des commentaires.»
Du 15 au 17 avril
À la Salle Multi
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