Benoît Vermeulen : Planter le Clou
Tout juste arrivé du Printemps du Québec à Paris, Benoît Vermeulen plonge dans le printemps du Clou à Montréal! La compagnie vouée au théâtre pour ados, qu’il codirige avec Monique Gosselin et Sylvain Scott, présente coup sur coup deux créations dont il assume la mise en scène: Les Trains, d’Olivier Choinière, à la Maison Théâtre du 21 au 23 avril; et Les Zurbains à la salle Fred-Barry du 4 au 14 mai. Un printemps chaud pour le Clou, qui plantera l’automne prochain dix bougies sur son gâteau d’anniversaire.
Roulant depuis septembre dernier, Les Trains entrent en gare, rue Ontario, pour quelques représentations seulement – mais parions que le voyage ne fait que commencer. Drame existentiel destiné aux 14 à 17 ans, la pièce d’Olivier Choinière met en scène trois amis d’enfance: Emcie, Elvisse et Elefpé (les noms, chez Choinière ont du charme), déchirés entre leur inaction et leur goût de bouger. «Le tourment intérieur des personnages, leurs rapports les uns aux autres, avec le monde extérieur et avec eux-mêmes sont au cour de la pièce, explique le metteur en scène. Ils se sont inventé un lieu, le Mont-Tas, sur lequel trône un vieux divan, où paradoxalement ils sont bien et s’enlisent à la fois. Comme dans "s’asseoir sur son tas."»
On le représente par une pile de vêtements, évoquant la chambre d’ados bordélique et soulignant l’importance du «linge» dans l’affirmation de leur personnalité. «Ils sont à un point tournant. Comme quand on sait qu’on doit tourner une page, mais qu’on est quand même assez à l’aise dans notre malaise. Ils entendent des trains qui passent, et cela les agresse ou les attire, selon le moment. C’est la vie qui passe, ou l’aventure.»
La vidéo, qui a contribué à définir un «style Clou», propose des images symbolisant les trains, le voyage, l’ouverture. «Les codes de la mise en scène ne sont pas éclatés, signale cependant Benoît Vermeulen. C’est beaucoup moins déconstruit que dans nos spectacles précédents. Comme le propos est existentiel, que l’action est limitée, je trouvais essentiel que l’on suive bien ce "drame ambiant", comme le décrit Olivier.»
Le ton est volontiers grinçant et les personnages, tout à fait lucides. «Très cynique, l’une subit la vie; elle a le monopole du malheur, remarque Vermeulen. L’autre, au contraire, se trouve trop ordinaire. Le gars joue toujours à être quelqu’un d’autre. Il voudrait être l’artiste maudit et, alors qu’il n’a encore rien écrit, il décide de ne plus écrire! Il est coincé dans un jeu, et toujours un peu loin de son émotion.»
Il enchaîne: «On était comme ça, nous, avec la gang; on jouait, par besoin d’identification», parlant de cette période de vie intense comme d’autres de leur enfance. Loin d’être une contrainte pour lui, le public adolescent le stimule, même s’il est d’accord pour dire qu’il s’agit du public le plus difficile: «Il peut être hard, mais c’est aussi le plus généreux. La vérité, l’intégrité des acteurs finit toujours par raccrocher les jeunes. Les Trains, c’est un spectacle exigeant, mais ils embarquent. Toutefois, la différence est nette entre les écoles où il n’y a jamais eu de théâtre et celles qui en ont fait une habitude.»
Cette habitude à préserver préoccupe Benoît Vermeulen, qui s’inquiète de la relève timide (malgré sa vénérable décennie, le Clou est la plus jeune compagnie à la Maison Théâtre!) et de la disparition du volet ados du Petit à Petit, de peur qu’on limite l’accès des jeunes à l’art. Et la censure qui sévit parfois dans les écoles? Le Clou défend ses choix artistiques. Si des commissions scolaires jouent les vierges offensées, «qu’ils aillent voir Pinocchio, suggère-t-il. Mais c’est dommage pour les jeunes.»
Six productions, moult tournées (Tu peux toujours danser a six ans!), 550 représentations et 250 000 spectateurs plus loin, la même passion anime toujours Benoît Vermeulen et ses deux complices pour cette compagnie qu’ils ont fondée avec Marjolaine Lemieux et Caroline Lavoie. La compagnie s’est encore rapprochée de son public grâce au rendez-vous annuel des Zurbains (version pour ados des Contes urbains). À l’issue d’un concours invitant les ados à écrire un conte, un stage d’une fin de semaine a été offert cette année à une vingtaine d’élus, avec des auteurs et comédiens professionnels. Quatre de ces contes feront partie du spectacle, avec ceux de Nathalie Derome et de Reynald Robinson. Pour Vermeulen, un témoin privilégié du bouillonnement créateur des jeunes, «peu d’adolescents sont désillusionnés. Même quand ils semblent blasés, il ne faut pas grand-chose pour rallumer la flamme.»
Les Trains, à la Maison Théâtre
Du 21 au 23 avril
Les Zurbains à la salle Fred-Barry
Du 4 au 14 mai