Guylaine Tremblay : Le jeu de la vérité
Scène

Guylaine Tremblay : Le jeu de la vérité

GUYLAINE TREMBLAY retrouve avec bonheur l’univers baveux, comique et pathétique de Robert Gravel à l’occasion de la reprise de Durocher le milliardaire au TNM. Un passage du théâtre en marge à l’institution, qui se fait dans la joie et le plaisir.

Oubliez la sieste pendant les heures de travail… L’équipe Durocher le milliardaire propose plutôt un amendement au code du travail pour rendre le bonheur obligatoire. Les comédiens de ce spectacle comico-subversif, écrit et mis en scène par Robert Gravel, croient en un monde où le labeur est synonyme de bonheur. Pour y arriver, ils concoctent une petite révolution qu’ils comptent bien livrer au public du TNM dès le 20 avril.

C’est l’héritage de Robert Gravel et du Nouveau Théâtre Expérimental qui fait son entrée dans le temple montréalais du répertoire. Avant de partir prématurément,Gravel a transmis sa philosophie du bonheur à plusieurs comédiens qui lui sont restés fidèles. Ceux-ci transporteront son monde ludique et critique au TNM dans un décor hyperréaliste de Jean Bard.

«Ma rencontre avec Robert et la gang du Nouveau Théâtre Expérimental a changé ma façon de pratiquer mon métier», raconte Guylaine Tremblay, qui reprend le personnage qu’elle a créé à l’Espace Libre, avec quelques-uns des membres de sa «famille professionnelle»: Alexis Martin, Jacques L’Heureux, Violette Chauveau… «Je fais mon métier aussi sérieusement, sinon plus, qu’à mes débuts. Mais je me prends moins au sérieux!

En 1990, quand Robert Gravel a proposé un rôle à Guylaine Tremblay dans Durocher…, la comédienne évoluait dans un tout autre univers. Elle habitait à Québec, et jouait dans quatre shows de répertoire par année au Trident. «Je venais de prendre la décision de déménager à Montréal. Je me rappelle le jour où je suis arrivée à la première répétition, rue Fullum, à dix heures le matin. Je cherchais du café et des croissants… Mais la gang était attablée autour d’une caisse de bières!!! Je capotais. Robert m’appelait "la fille des théâtres institutionnels*"… Plus tard, j’ai compris qu’on pouvait travailler sérieusement tout en ayant du fun. Maintenant, j’ai besoin de retrouver cette atmosphère-là. Mon travail doit me rendre heureuse. Ça n’exclut ni le doute ni la rigueur. Mais si j’étais malheureuse dans un projet, je crois que je me retirerais. La vie est trop courte… On l’a vu avec le départ de Robert…»

Avant son décès, en août 1996, Robert Gravel avait entamé un travail dramaturgique considérable et fort original. D’abord avec La Tragédie de l’homme (une trilogie créée entre 1991 et 1993 qui comprend Durocher, L’homme qui n’avait plus d’amis, et Il n’y a plus rien), puis avec Thérèse, Tom et Simon, l’auteur a laissé des ouvres hyperréalistes qui explorent le raté de l’existence avec une troublante acuité. Gravel était un absurde. Un comique qui flirtait avec le tragique. Sa parole se veut autant rassurante que dérangeante. Les personnages de ses pièces – riches ou pauvres, jeunes ou vieux, paumés ou décadents – essaient tous de combler, en vain, le vide de leur existence, la faille de l’entreprise humaine. Finalement, Gravel était conscient du fait qu’au fond de chaque être, on retrouve une immense solitude. Et c’est ce qu’il a voulu démontrer, par-delà les différences des classes sociales, dans Durocher le milliardaire.

L’argent fait le bonheur
Trois jeunes cinéastes fauchés rendent visite à un milliardaire (Jacques L’Heureux) rencontré par hasard dans un avion, dans le but de lui soutirer une bonne somme d’argent pour financer un film… sur les démunis. Les trois cinéastes préféreraient qu’il soit con… mais le milliardaire est cultivé, généreux et heureux. Après avoir profité de ses largesses, ils ne savent plus s’ils doivent mépriser ou louanger leur hôte.

L’alcool aidant (suivant les directives du metteur en scène, les comédiens boivent vraiment pendant la pièce – mais ils «gèrent leur boisson»), les relations entre les cinéastes, d’une part, et les membres du clan Durocher, d’autre part, passeront par diverses phases avant de tourner à l’affrontement lors d’un souper final aux allures de Dernière Cène.

Pour Guylaine Tremblay, la pièce est encore plus percutante et baveuse aujourd’hui qu’au moment de sa création. « C’est peut-être moi qui suis plus consciente de ces choses-là, mais le néolibéralisme économique est encore plus triomphant en 1999. Chaque jour, l’écart entre les riches et les pauvres se creuse davantage.»

Si la pièce joue habilement avec les clichés et les discours socioculturels, Guylaine Tremblay ne croit pas que l’auteur voulait faire passer de message précis: «On a joué Durocher en France. Le metteur en scène qui nous recevait à Cergy-Pontoise disait à Robert: "C’est vachement politique, ton truc!" Et Robert répondait: "Non, c’est juste niaiseux."

Reste que Robert Gravel disait souvent: «Si le théâtre ne fait pas avancer la liberté de ceux qui le jouent et de ceux qui le voient, il ne sert à rien.» «Il ne faisait pas ce métier-là pour l’amour, mais pour se sentir plus libre», explique Tremblay.

Le défi de Guylaine Tremblay et des autres comédiens (Violette Chauveau, Jacques L’Heureux, Alexis Martin, Luc Senay, Claude Laroche, Didier Lucien, Luc Proulx) est donc de transporter leur état de bonheur et de liberté au TNM. «Si on m’avait dit, en mars 1991, que Durocher serait jouée un jour au TNM, je ne l’aurais jamais cru! Or, on voulait à tout prix reprendre cette pièce, et Lorraine Pintal a tout de suite sauté dans le projet. Il n’y a rien de nostalgique là-dedans. J’ai replongé dans le même état de bonheur que je ressentais en 1991. En plus, il y a un bar au TNM!»

Du 20 avril au 15 mai
Au Théâtre du Nouveau Monde
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