Pour adultes seulement : La vie, mode d’emploi
Scène

Pour adultes seulement : La vie, mode d’emploi

La planète, comme la vie, semble divisée entre les grands et les petits drames. D’un côté de l’Atlantique, les guerres, les massacres et les génocides. De l’autre, les meurtres, les crimes et la corruption rampante. En Amérique du Nord, nos drames sont petits. Certes, l’histoire nord-américaine contient de sombres pages; mais pas de l’ampleur d’Auschwitz, du Cambodge ou du Kosovo.

Reflet de l’inconscient collectif, le théâtre nord-américain n’a pas de tragédies shakespeariennes ou de pièces épiques. D’O’Neill à Miller, en passant par Williams, Tremblay, Dubé ou Bouchard, notre dramaturgie met en scène de petits drames. George F. Walker est un maître du genre. Tel un ornithologue, l’auteur torontois observe les failles de ses contemporains. Il évoque les zones grises de nos villes. Il parle de ces gens autour de nous qu’on ne voit pas – ou qu’on ne veut pas voir. Finalement, Walker nous montre comment survivre dans la jungle de la vie.

Avec sa série Motel de passage, Walker a brillamment imaginé six pièces sur la tragédie des gens ordinaires. Après L’Enfant problème, (et avant Le Génie du crime) le Quat’Sous propose Pour adultes seulement. Une ouvre tour à tour cynique, comique, noire et pathétique.

Nous revenons dans la chambre no 21 du motel de banlieue. Le rideau se lève sur une scène de baise entre Jayne, une avocate sans scrupules, et Max, un policier idiot et désabusé. Leur rapport sexuel est une monnaie d’échange. Jayne veut obtenir une faveur de Max pour innocenter une de ses clientes. Leur aventure dégénère en affrontement. Quand surviennent Donny, le coéquipier alcoolique de Max, et sa femme, Pam, la pièce tombe dans un drôle de drame.

Denise Guilbault a visiblement le sens du casting. Elle a su tirer le maximum de la distribution grâce à une direction d’acteurs impeccable. Sa mise en scène sans faille illustre bien le côté hyperréaliste du théâtre de Walker. Les acteurs jouent sur la corde raide, comme au bord de la crise de nerfs.

Après sa prestation dans La Salle des loisirs, l’an dernier au Théâtre d’Aujourd’hui, Louise Bombardier réussit un autre tour de force dans le rôle de Jayne. D’une incroyable vérité, cette comédienne est une bombe de talent sur scène. Avec Donny, Gilles Renaud signe sa meilleure performance depuis longtemps. À la fois fort et vulnérable, l’acteur rend très attachant son personnage de minable policier alcoolique. Marcel Lebouf est aussi très juste en Max. Et Monique Spaziani étonne dans le rôle de Pam. Enfin, la très bonne traduction de Maryse Warda épouse la nord-américanité du texte, en évitant le piège de l’adaptation ou de la québécisation.

Au bout de Pour adultes seulement, après 80 minutes de marchandage, de mensonges et de mépris, il y a de l’amour dans l’air. Max et Jayne passent aux aveux: «Je t’aime, Jayne.» «Moi aussi, Max.» Voilà une belle leçon d’humanité: les petits drames de la vie étant aussi universels que les grandes tragédies mondiales. Dans les deux cas, tout est toujours question de survie. Et dans les deux mondes, l’amour demeure notre bouée de sauvetage.

Jusqu’au 22 mai
Au Théâtre de Quat’Sous
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