Urfaust : Sombre et efficace
Scène

Urfaust : Sombre et efficace

De La Dernière Bande aux Trois Derniers Jours de Fernando Pessoa, Denis Marleau signe volontiers des spectacles confidentiels, du véritable théâtre de chambre, hanté par la mort, exigeant tant pour les spectateurs que pour les interprètes. Son Urfaust, cousu de textes de Goethe et de Pessoa, est de cette veine-là, en prolongement direct avec Les trois derniers jours…, avec, peut-être, l’ombre de Woyzeck en filigrane. Un spectacle sombre et rigoureux, lent, empreint d’austérité, quasi hiératique, tout en retenue, que ce soit dans les effets, l’émotion ou la direction d’acteurs.

Jouant, comme toujours, des ciseaux et de la colle à l’adaptation, le directeur du Théâtre Ubu nous offre un beau texte dense et poétique, apprêté dans une intrigue cohérente et linéaire, où se traitent de graves questions: on y médite sur le rêve et la connaissance, la conscience et une existence vécue dans l’innocence («Je veux vivre la vie en ignorant que je la vis», dit Faust), le Bien et le Mal, la mort et l’immortalité…

Cette gravité symbiotique de forme et de fond impose une inévitable lourdeur à la pièce, qui traîne parfois en longueur (lors d’une scène centrale entre Gretchen et Faust, par exemple). Par ailleurs, l’impressionnant dispositif scénique conçu par Michel Goulet – un ingénieux plateau tournant, sur lequel des murs demi-circulaires pivotants créent un dédale de lieux, faisant écho à la dérive existentielle des personnages -, paraît un peu pesant pour un spectacle qui demeure malgré tout intime dans son essence.

Pourtant, de cette lenteur délibérée, de ce sombre manteau étouffant, le metteur en scène parvient à faire sourdre un climat d’angoisse et de maléfice diffus, d’un discret envoûtement. Un malaise distillé par la musique de John Rea, les éclairages très parcimonieux d’Alain Lortie, par l’emploi d’étranges chansons ou comptines allemandes. Et par les projections sporadiques de figures humaines sur des bustes ou une statue de chien (!), procédé mis au point dans Pessoa.

Denis Marleau poursuit avec Urfaust son jeu de piste intellectuel, de dédoublement: ainsi, Méphistophélès y emprunte la physionomie effacée du poète portugais aux multiples hétéronymes. Un personnage diablement attrayant. Incarné avec une sobriété subtile, suave, par l’excellent Paul Savoie, cet insaisissable Méphisto s’avoue un «ironiste» – on lui doit les quelques traits d’humour qui éclairent le spectacle – inoffensif: les copieurs que sont les Hommes sont bien plus dangereux…

Avec un dépouillement tout aussi maîtrisé, l’étonnante Céline Bonnier évoque aussi bien la pureté gracile de Gretchen que son délire tragique après sa corruption par Faust. Un personnage qu’habite Albert Millaire de façon plus inégale. Le regard dramatique, la voix sépulcrale, le corps courbé, le comédien impressionne parfois, alors qu’à d’autres moments, il semble forcer son jeu et échapper à cette retenue qui est la marque du spectacle.

Un spectacle dont le caractère de cérébralité très contrôlé fait peut-être écho à la damnation de Faust, lui-même incapable de s’abandonner aux émotions…

Jusqu’au 24 avril
À l’Usine C
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