Dralion : Des chiffres et des jeux
Scène

Dralion : Des chiffres et des jeux

Fierté nationale et entreprise au succès mondial, le CIRQUE DU SOLEIL présente son tout nouveau spectacle cette semaine à Montréal. La troupe fait face à un nouveau défi: exploiter une formule gagnante tout en préservant la valeur artistique. Un beau problème.

Derrière les bureaux du cirque le plus célèbre en Amérique, dans le quartier Saint-Michel, on peut voir le ciel s’embraser au-dessus du vaste terrain vague où est installé un chapiteau jaune et bleu. Un panorama fascinant, à l’image de cette entreprise fondée en juin 1984 et toujours en expansion. Le soleil n’a pas fini de briller sur cet empire. La popularité des spectacles du Cirque est telle que les concepteurs et les artistes ne suffisent pas à la demande mondiale.

Cette semaine, ce n’est pas le soleil qui surchauffe le grand chapiteau… mais la pression. Il faut dire que les organisateurs ont placé la barre très haut. Dralion, la 13e création du Cirque en 15 ans – et la troisième à voir le jour en six mois – sera présentée devant quelques journalistes qui ont vu «O», à Las Vegas, et La Nouba, à Orlando. Les dirigeants du Cirque craignent la comparaison avec ces deux productions aux budgets beaucoup plus importants que celui de Dralion.

La générale publique de mardi soir a été reportée au lendemain «pour des raisons techniques». Et il est certain que le président fondateur, Guy Laliberté, et son complice, le directeur des créations, Gilles Ste-Croix, vont mieux dormir ce week-end, après que le rideau sera tombé sur la première médiatique.

Le Cirque du Soleil, l’une des plus grandes fiertés culturelles du Québec – après Céline Dion mais avant Robert Lepage -, est devenu une big business: 300 millions de chiffre d’affaires par année; entre 1500 et 2000 employés à temps plein ou partiel; huit spectacles qui circulent parallèlement dans le monde et qui font travailler de 500 à 550 artistes. Un journaliste new-yorkais a évoqué la «McDonaldisation du Cirque». La comparaison est douteuse. L’art du cirque ne virevolte pas aussi aisément qu’une boulette. «Nos spectacles sont tous uniques. On ne veut pas cloner, ni même doubler un show», se défend Guy Laliberté. En entrevue, le président-fondateur parle tout de même «de développement international», de «multiplication des nouveaux marchés», de «consolidation», et autres termes a priori pas très artistiques…

On le sait, le Cirque a connu une crise de croissance. Des artistes ont déjà claqué la porte en critiquant l’approche trop marketing des anciens échassiers de Baie-Saint-Paul. Mais d’autres reviennent… Comme Guy Caron, un des fondateurs du Cirque et ex-chum de brosses de Guy Laliberté, qui signe ici la mise en scène de Dralion. (L’habituel metteur en scène des créations montréalaises, Franco Dragone, vient de réaliser le film Alegria et le spectacle à Orlando.)

Théâtre du monde
Pendant la conférence de presse fort courue de Dralion, au Studio du Cirque, au milieu de l’ancienne carrière Miron, les trois potes – Caron, Laliberté et Ste-Croix – semblaient triper aussi fort que lors de leurs légendaires soirées au Mouton Noir, à Baie-Saint-Paul. Sauf que ce jour-là, ils ont servi aux journalistes une série de chiffres au lieu des réflexions sur la vie de saltimbanque. Ils étaient particulièrement fiers d’informer la presse que, après Montréal, Dralion allait effectuer une tournée nord-américaine de 17 villes, étalée sur trois ans. En tout, la troupe donnera plus de 1000 représentations pour un total possible de 2 500 000 spectateurs (le tiers de la population québécoise!).

Le menu artistique est arrivé plus tard, juste avant l’apéro et les bouchées… Le metteur en scène s’excusait de n’être pas plus loquace. En matière de cirque, «l’important, c’est le visuel, le mouvement», et non les mots pour le dire. Guy Caron s’est d’ailleurs entouré d’une équipe de concepteurs parmi les meilleurs du milieu théâtral: François Barbeau, aux costumes; Stéphane Roy, à la scénographie; Michel Beaulieu, aux éclairages. Ces artistes qui travaillent pour la première fois avec le Cirque sont emballés par ce nouveau défi ainsi que par les moyens dont ils disposent, comparativement aux maigres budgets des compagnies de théâtre.

Au fond, ce recours aux habitués de l’art dramatique n’a rien de surprenant: la théâtralité ayant toujours été la marque des spectacles du Cirque du Soleil. Les concepteurs travaillent donc dans un univers à la fois étranger et familier.

Dralion se veut une contraction des mots «dragon» et «lion», respectivement les symboles de l’Orient et de l’Occident. Pour Guy Caron, également fondateur de l’École Nationale du Cirque de Montréal, Dralion sera «un spectacle fin de millénaire qui permettra un croisement des influences du cirque oriental et occidental». Cette fusion de deux mondes, l’Est et l’Ouest, se fera autant dans les thèmes abordés que dans le va-et-vient sur la piste. Parmi les 54 artistes en provenance de neuf pays, on retrouve 35 acrobates chinois. Tout cela dans un désir perpétuel de «recherche d’harmonie entre l’humain et la nature». Beau programme.

Si vous n’avez pas pris le soin de réserver, il faut le faire vite, car plus de 85 % des billets de Dralion étaient déjà vendus au début de la semaine! Ce qui, souhaitons-le, aidera à faire baisser la pression sur le dos des artistes du Cirque du Soleil.

Jusqu’au 13 juin
Sous le Grand Chapiteau au bout de la 2e avenue
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