Féroce : Un venin inoffensif
Scène

Féroce : Un venin inoffensif

C’est connu, les petits drames du quotidien font souvent écho aux grands. Avec Féroce, Christian Fortin a imaginé une guérilla familiale révélatrice des conflits que traverse sa génération, celle qui a fait du «moi» son cri de guerre. Après avoir défait les nouds d’une relation amoureuse sans issue, dans sa création précédente, 86 Lampes, le jeune auteur s’attaque à ceux qui se forment entre les membres d’un clan au bord de l’éclatement.

Cette création du Théâtre Le Boléro, de Saint-Hyacinthe, met en scène quatre rejetons d’une famille «de tu seuls ensemble» (Micheline Bernard, Mario Borges, Richard Fréchette et Manon Lussier) secoués par l’annonce de la mort imminente de leur père. Malgré un emploi du temps trop chargé pour s’occuper du paternel agonisant, les trois aînés de la famille (tous stériles) sont prêts à toutes les bassesses pour convaincre la cadette de mener à terme sa grossesse, une obsession qui les hantera jusqu’à un finale déroutant de banalité.

Des cris aux règlements de comptes, le combat verbal engagé par ces quatre langues de vipère tient plus de la joute de lutte «arrangée» que du match de boxe. Ah! parole, parole… Dans cette cacophonie de mots (maux?), les phrases assassines pleuvent comme des coups. En tenant à tout «dire», expliquer et éclairer, l’auteur prive ses personnages de zones d’ombre essentielles à leur crédibilité. Difficile de croire à une parabole sur l’individualisme dont les ficelles sont aussi grosses que les câbles d’un ring…

Pourtant, le metteur en scène Jacques Rossi a effectué un travail efficace et les comédiens interprètent avec fougue leurs personnages. Sur la scène, Marie (l’étudiante), Guillaume (l’avocat), Jean (l’artiste) et Danielle (la cambiste) négocient la mort de leur père et la naissance sans délicatesse, gestes brusques et jurons à l’appui. Le marchandage, le mensonge et le mépris dont ils font preuve pourraient d’ailleurs en faire les cousins des âmes en peine de Pour adultes seulement, de George F. Walker, un autre dramaturge fasciné par les drames «ordinaires » et les bargains plus ou moins louches.

Bien que très réaliste, la pièce de Fortin entremêle dialogues crus et soliloques poétiques. La scène (un espace bordé de deux estrades qui se font face) est divisée par un long drap rouge, sur lequel les personnages s’attardent le temps de livrer ces tirades introspectives. À cette scénographie dépouillée s’ajoutent quelques ouvres (du sculpteur Claude Millette), qui seront joyeusement ridiculisées par les proches de l’artiste, incapables de prendre au sérieux ses toasteurs «gossés».

Féroce aborde des thèmes universels et prenants tels la quête de sens et le besoin de créer. Les personnages, orphelins de mère, tentent d’engendrer du savoir, de l’argent et des ouvres d’art, et rêvent, un peu naïvement, d’occuper une place au sein d’une grande et belle famille.

Malheureusement, le drame de cette tribu un brin hystérique laisse froid. Comme si le venin qui gicle à profusion sur la scène de l’Espace La Veillée n’atteignait pas vraiment nos cours…

Au Théâtre Espace La Veillée
Jusqu’au 2 mai
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