Dralion : Demi-tour
Scène

Dralion : Demi-tour

Il n’est pas facile de critiquer un show du Cirque du Soleil. Devant les prouesses de ses acrobates qui font reculer les lois de la physique, ou l’enrobage esthétique sophistiqué qui rendrait jaloux un producteur de Broadway, les créations de la troupe fondée par Guy Laliberté et Gilles Ste-Croix sont des objets culturels classés à part. Des shows qui ont la cote. Ici et ailleurs.

Or, il faut éviter de tomber dans le panneau de la flagornerie, comme le fait une certaine presse complaisante, sous prétexte que des Québécois sortis de nulle part connaissent un succès international. Tout ce qui se crée sous le grand chapiteau jaune et bleu n’est pas irréprochable. À preuve, Dralion, la treizième production du Cirque du Soleil, n’est pas, dans sa forme actuelle, son spectacle le plus marquant.

Bien sûr, à l’instar de Quidam, la précédente création montréalaise, Dralion peut encore se perfectionner. Cet été, le spectacle amorcera une tournée nord-américaine pendant trois ans. Montréal serait-elle devenue, pour l’équipe du Cirque, ce que Magog représente pour les chanteurs et les humoristes: une ville pour roder un spectacle?
Le principal problème de Dralion réside dans sa mise en scène sans cohérence et sans fluidité. Sous la direction de Guy Caron, la magie opère moins bien que lors des spectacles imaginés par Franco Dragone (Nouvelle Expérience, Alegria, Saltimbanco…). Dralion compte beaucoup de ruptures de ton, de symboles gratuits, et semble à la recherche d’un fil conducteur. L’ensemble demeure en panne de théâtralité, voire de poésie, pourtant marques de commerce du Cirque.

Le thème, un peu creux, de «recherche d’harmonie entre l’humain et la nature», et de fusion entre l’Orient et l’Occident n’est pas exploité clairement. Et le personnage principal, L’Âme Force (le chanteur à la voix de castrat et drôlement affublé, Érik Karol), n’a pas de présence dramatique. En voulant rendre «hommage à la vie et aux éléments de la Terre», Caron a signé une mise en scène fourre-tout. Il nous sert plusieurs clichés folkloriques sur la philosophie orientale. On est loin des références culturelles et intellectuelles de Dragone.

L’aspect le plus faible de Dralion reste les numéros clownesques conçus par Michel Dallaire. Ce dernier a voulu faire des cinq clowns l’archétype du «petit peuple» (sic), avec un humour bête et absurde. Or, ces clowns ne sont tout simplement pas drôles. Leurs sketches tombent à plat devant un public qui ne demande qu’à rire. Principalement celui, anticlimax, de la levée du cercueil qui s’éternise dans un silence mortel et gênant. (Le soir de la première, en plein milieu de ce numéro, un spectateur a lancé: «Do something!») Bref, on s’ennuie des géniales pitreries de Denis Lacombe et de la poésie des clowns de Quidam…

Heureusement, il reste le volet acrobatique, toujours aussi léché et captivant. Mentionnons la jonglerie très athlétique et chorégraphique de l’Ukrainien Viktor Kee; les exploits des Chinois (ils sont 34 de tous les âges) avec le traditionnel numéro de cerceaux et de cordes à sauter (une pyramide humaine sautant à la corde, il faut voir ça!); le mariage des danses traditionnelles chinoises du dragon et du lion, la démonstration la plus colorée de la soirée avec les flamboyants costumes de François Barbeau; ou encore le numéro à couper le souffle du double trapèze. Tout cela au son de la magnifique musique de Violaine Corradi.

Si le côté acrobatique impressionne toujours, c’est donc l’approche théâtrale du Cirque qui a de la difficulté à passer la rampe. Et ce, malgré le recours à de nouveaux concepteurs du milieu théâtral: Stéphane Roy (qui réalise l’impressionnant décor), Michel Beaulieu (aux éclairages superbes), et Barbeau.

L’art du cirque, comme la roue, ne peut pas toujours se réinventer. Souhaitons que la prochaine création présentée à Montréal soit digne de la réputation, jusqu’ici amplement méritée, d’originalité et de qualité artistique, du Cirque du Soleil.

Jusqu’au 13 juin
Chapiteau du Cirque: 8400, 2e Avenue

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