Felix Ruckert : Danse à dix
Scène

Felix Ruckert : Danse à dix

Ancien danseur de Pina Bausch et de Mathilde Monnier, FELIX RUCKERT aime toucher à divers styles pour faire reculer les frontières de son art. Danse-Cité présente le spectacle qui a propulsé le chorégraphe en Europe.

On doit à Danse-Cité les spectacles les plus originaux de la saison. Hautnah du Berlinois Felix Ruckert, qui prendra l’affiche de l’Agora de la danse dans quelques jours, boucle sa programmation sur une note intrigante. Oubliez le public sagement assis devant une scène traditionnelle; ce que nous propose le chorégraphe, de passage pour la première fois au Québec, est révolutionnaire. Dix interprètes sont enfermés dans de minuscules

loges. Chacun attend un spectateur qui lui versera un montant d’argent pour le voir danser. La prestation terminée, le spectateur s’en va siroter une bière au bar de l’Agora en attendant de voir le prochain solo. Audacieux.

Dans la loge, pas de musique, à peine quelques sons légers, et une vague perception de ce qui se passe chez le voisin. La comparaison va de soi: Hautnah ressemble à une danse à dix dollars, en plus sophistiquée. Le chorégraphe sourit de l’évocation: «J’aime l’idée de rapprochement entre l’interprète et le spectateur. D’habitude, le danseur se sent éloigné de son public. C’est le noir, il ne voit personne. Dans Hautnah (qui signifie "proche comme la peau"), il obtient un feed-back qu’il n’obtiendra jamais sur une scène ordinaire.»

Arrivé au pays depuis trois semaines, Felix Ruckert répète avec une troupe composée de Québécois (Emmanuel Jouthe, Benoît Lachambre, Jacques Moisan, Catherine Tardif, Catherine Jodoin), de Torontois, et d’Européens, dont Ruckert lui-même. Spectacle qui roule sa bosse depuis quatre ans en Europe, Hautnah a été monté avec des équipes différentes à Bruxelles, Berlin et Hambourg. Chaque version se moule sur la personnalité des danseurs. «Je choisis mes danseurs en fonction de leur technique, de leur maturité artistique et de leur personnalité. Au Québec, des contrastes marquent la troupe. J’ai des danseurs expérimentés et inexpérimentés. Ces derniers apportent beaucoup de fraîcheur.»

Selon Felix Ruckert, le spectateur voit trois solos au maximum en une soirée. «La communication est physique, sensuelle et très intense», explique-t-il. Bien que les courtes performances soient réglées presque au quart de tour, les danseurs les modifient selon la personnalité du spectateur. «S’il est distant, le danseur maintiendra un espace entre
eux. S’il est ouvert, le danseur pourra se rapprocher.» Qu’on se rassure, personne n’a encore pris la poudre d’escampette. «Il s’agit souvent de spectateurs ouverts, à la recherche d’inédit.»

Chose certaine, Hautnah ne battra pas un record d’assistance. Primo, seules une centaine de personnes seront admises chaque soir (les billets sont vendus sur place). Deuzio, rares sont les spectateurs prêts à vivre une telle proximité avec un danseur. «Le producteur ne fait pas d’argent avec nous, confirme Felix Ruckert. Il nous invite parce que le spectacle en vaut la peine. En Europe, j’ai plus de demandes que je ne peux en accepter. À l’origine, le spectacle n’était pas conçu pour faire de la tournée. C’était quelque chose de simple, avec un minimum de spectateurs.»

Le Berlinois note être le premier à avoir mis sur pied un tel spectacle. Depuis, des collègues lui ont emboîté le pas. «En Europe, beaucoup d’artistes cherchent à renouveler leur rapport avec le public ou une nouvelle façon de rompre la relation passive du spectateur avec
l’artiste», dit-il.

Depuis la création d’Hautnah, qui a fait connaître son travail, cet ancien danseur de Pina Bausch et de Mathilde Monnier a touché à divers styles: danse abstraite, danse-théâtre et danse à l’image d’Hautnah. Son travail dérange les critiques. On lui reproche, entre autres, de ne pas approfondir son écriture chorégraphique. L’intéressé balaie la remarque: «C’est important pour moi de créer à partir de ce qui existe déjà. Je m’inscris de cette façon dans une tradition. En danse contemporaine, on veut que les chorégraphes développent une signature définitive et inédite, ce qui les pousse à se répéter. Moi, je fais l’inverse!» À voir.

Du 5 au 15 mai
À l’Agora de la danse

Journée internationale de la danse
Le 2 mai prochain, c’est la Journée internationale de la danse. À Montréal, on souligne l’événement en grande pompe, à partir de samedi à la maison de la danse des Grands Ballets Canadiens, où le public est convié à une journée portes ouvertes. Dimanche, une parade animée par une douzaine de danseurs se déroulera dans les rues avoisinantes du carré Saint-Louis. En après-midi, le public pourra assister à des répétions publiques à l’Agora de la danse et à Circuit-Est (1881, rue Saint-André).

Les moments forts de la journée auront toutefois lieu à l’Écomusée du fier monde, rue Amherst. Des danseurs y interpréteront des extraits de récents succès chorégraphiques comme La vie qui bat d’O Vertigo, Les oiseaux ne veulent pas parler de Wadji Mouawad ou Côté cour, côté jardin de José Navas. En guise de clôture, Ginette Laurin inventera, au Lion d’or, une chorégraphie pour le grand public.

Pour la deuxième année consécutive, l’organisme responsable de la Journée, le Regroupement québécois de la danse, a confié le mandat de direction artistique et de coordination à une ancienne membre de Brouhaha Danse, Ginette Ferland. Cette dernière réussit l’exploit de réunir près d’une centaine de danseurs, chorégraphes et musiciens dans divers endroits de la ville. Son désir le plus puissant: «Attirer des gens qui ne vont pas voir de la danse et qui aimeraient sans doute cet art s’ils en voyaient», et rapprocher les membres de la communauté de la danse. «Un clivage existe encore entre les générations. On travaille pour soi sans doute pour une question de survie.»

L’an dernier, l’événement a attiré environ un millier de curieux. Cette année, Ginette Ferland espère toucher plus de monde. Tout est gratuit. On s’informe au (514) 790-ARTS ou on consulte le site Internet: www.infoarts.net