Le Génie du crime : Drôle de drame
Scène

Le Génie du crime : Drôle de drame

Face à la noirceur et à la vacuité de la vie, certains préfèrent en rire. Cette attitude digne du théâtre de l’absurde, George F. Walker la maîtrise avec maestria. Son cycle Motel de passage expose la turpitude et la détresse humaines, en empruntant toutes les couleurs de la comédie. Si L’Enfant-problème, qui étalait tout le pathétisme de la misère humaine, tendait plutôt vers le drame, et que Pour adultes seulement, où explosait la dépravation morale des autorités, tirait sur la satire sociale noire et grinçante, Le Génie du crime monte encore d’un cran dans l’absurde, s’affichant sans ambiguïté comme une grosse farce loufoque.

Dans l’unique décor d’une chambre de motel banale, devenue une sorte de microcosme de la déconfiture humaine, les personnages de Walker, ratés en marge du système, conscients de leur faillite, s’agitent en pure perte. Leurs errements, leur couardise, leur manque de jugement les empêtrent dans les ennuis, où leurs efforts pour s’en sortir ne font que les enfoncer davantage. Drôle de monde, tout de même, où les criminels ont des scrupules qui nuisent à leurs tâches, et où les représentants de la loi n’en ont plus…

C’est la pure bêtise, la stupidité crasse, qu’étale cette troisième pièce présentée au Quat’Sous – qui connaît décidément une très forte et cohérente saison. Celle de Rolly (Jacques Girard) et de son fils Stevie (Paul Ahmarani), criminels à la petite semaine. Suprême ironie, c’est leur principe ouvertement revendiqué de non-violence qui va tout faire dérailler: ils kidnappent la cuisinière (Kathleen Fortin) au lieu d’incendier son restaurant comme ils en avaient reçu commande. Ce qui ne fait pas du tout le bonheur de leur patronne (Nathalie Mallette), une hystérique qui voudrait se donner une allure de tough, mais qui s’effrondre bientôt devant plus féroce qu’elle.

Intelligemment traduite par Maryse Warda, la pièce du Torontois est ainsi faite de plusieurs revirements. L’otage prend le commandement, Rolly interrompt une situation désespérée pour discuter quiz psychologique… Les situations sont extrêmes, et les dialogues volontiers absurdes, la stupidité des personnages engendrant maints problèmes de communication. Dans cet univers basé sur le marchandage, on se raccroche, qui à une paire de souliers, qui à une montre.

La mise en scène de Denise Guilbault surfe avec assurance sur la nature burlesque du texte. Les comédiens sont dirigés habilement, avec une attention portée à leurs attitudes physiques. Motel de passage a donné lieu jusqu’ici à d’excellents numéros d’acteurs. D’actrices, surtout, tant ce sont généralement les femmes qui mènent le bal. C’est surtout vrai ici, les hommes n’apparaissant guère plus que comme de maladroits instruments, même pas capables de bien mener leur mission à bout. Paul Ahmarani et le désopilant Jacques Girard campent une impayable paire de sous-doués du crime. La fébrile Nathalie Mallette, sanglée dans un costume noir qui lui donne l’allure d’une Catwoman de pacotille, est tout bonnement méconnaissable. Pourtant, avec cette étonnante composition et celle, forte mais sans nuances, de Kathleen Fortin, on quitte le terrain de la vérité, sur lequel restent campés, malgré tout, les personnages masculins.

Maître de la rupture de ton, Walker sait toutefois nous ramener sur le mode dramatique (un peu comme il l’avait fait dans L’Enfant-problème), avec le monologue du concierge malchanceux et pitoyable (très juste Stéphane F. Jacques), qui dénonce son triste sort. Posant en victimes, les personnages du Génie du crime n’ont de cesse de chercher un bouc émissaire à leurs malheurs. Pathétique humanité qui refuse jusqu’à la fin la responsabilité de ses actes.

Jusqu’au 22 mai
Au Théâtre de Quat’Sous
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