Yvon Perrier : L'ombre et la lumière
Scène

Yvon Perrier : L’ombre et la lumière

«Briser le langage pour toucher la vie.» Écrits par Antonin Artaud, ces mots auraient tout aussi bien pu jaillir de la plume de Claude Gauvreau, lui aussi un génie tourmenté et instable. Près de trente ans après sa mort, ce poète hors norme demeure un écrivain méconnu dont les derniers écrits, si sombres et subversifs, font oublier l’éclat des premières ouvres.

C’est du moins l’opinion d’Yvon Perrier, qui présente à l’Espace la Veillée La Jeune Fille et la Lune, un «objet théâtral» couché sur papier plus de vingt-cinq ans avant Les oranges sont vertes. «Je le fais pour dégonfler le mythe, parce que je sais que Gauvreau a beaucoup plus à offrir que l’image du poète maudit. Son ouvre est lumineuse et j’ai hâte qu’on l’explore à fond», souligne le jeune metteur en scène, rencontré dans un café du Plateau Mont-Royal.

La Jeune Fille et la Lune est le deuxième des 26 textes composant les Entrailles de Gauvreau. Ce poème dramatique à une voix raconte l’odyssée intérieure d’une Ophélie contemporaine qui hésite entre le monde des morts et l’appel d’un rayon de lune. «Il s’agit d’un voyage initiatique, dans lequel Gauvreau amorce son travail d’alchimiste et d’explorateur de la langue. Bien qu’écrit en 1944, ce texte à la forme très éclatée est un reflet de société d’avant-garde.» Le metteur en scène, véritable passionné de l’ouvre de Gauvreau, a coréalisé l’an dernier une adaptation de cette pièce pour la chaîne culturelle de Radio-Canada.

«Ce texte, c’est un reflet de la pensée des signataires de Refus global, qui étaient monistes athées et, donc, refusaient de croire que l’esprit et le corps puissent être deux entités distinctes. Je me suis demandé: comment, en art, appliquer cette vision du monde?» Pour y parvenir, Yvon Perrier a confié le rôle de la jeune fille non pas à une, mais à deux interprètes (la comédienne Marie-Danielle Boucher et Danielle Hubbard, de la troupe Brouhaha Danse), choisies pour leur petit côté «femme-enfant».

Mais qu’est-ce qui peut bien pousser un jeune metteur en scène à produire, sans subvention, un texte aux influences automatistes, difficile, voire impossible à comprendre, et qui n’a été mis en scène qu’une fois à Montréal? «Je le fais parce que c’est un texte de femmes!» répond le plus naturellement du monde Yvon Perrier. Il ajoute même avec un franc sourire être heureux que cette pièce donne «enfin» la chance à des femmes de prendre possession d’un espace trop souvent occupé par les hommes pour y exprimer leur réalité. Créateur rose, Yvon Perrier?

À 27 ans – «exactement l’âge de Claude Gauvreau quand Muriel Guilbault s’est suicidée», précise-t-il -, le jeune homme fait assurément preuve d’une ouverture d’esprit, d’une maturité et, même, d’une politesse un peu vieux jeu… Ainsi, c’est avec sagesse et lucidité qu’il s’attaque aux mots de l’inventeur du langage exploréen. «Je fais énormément confiance à ses mots, qui sont porteurs de sens, mais je dois trouver un véhicule qui leur rende hommage de façon vivante. Claude Gauvreau ne se serait jamais contenté de rester passif, lui!»

La Jeune Fille … prendra l’affiche dans la salle de répétition de l’Espace la Veillée ??- «?un espace qui sent le travail» – pour quatre soirs seulement. Le diplômé de l’UQAM espère bien que sa pièce sera ensuite jouée ailleurs. «Mon grand rêve serait de présenter ce spectacle à Avignon. C’est ambitieux, idéaliste peut-être. Mais il faut avoir des rêves. C’est ce qui porte la vie…»

Salle de répétition du Théâtre Espace la Veillée
Du 5 au 8 mai

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