Paula de Vasconcelos : La guerre des sexes
Scène

Paula de Vasconcelos : La guerre des sexes

Pendant des années, les spectacles signés par Paula de Vasconcelos pour sa compagnie Pigeons International ont plus ou moins oscillé sur la frontière très poreuse séparant le théâtre de la danse. Lors de sa précédente création, la metteure en scène avait annoncé son intention de se rapprocher davantage de la chorégraphie. Voilà, c’est fait: Les Bacchantes, son nouveau spectacle qui a l’honneur d’ouvrir le FTA cette semaine, s’enfonce plus profondément dans l’exploration de la danse.

Quoique… Cette création, qui comporte pour tout texte un seul monologue, est encore très imprégnée de fragments narratifs, de nombreux «vestiges théâtraux». Et elle va probablement être considérée comme très théâtrale par le milieu de la danse! Et vice-versa… Paula de Vasconcelos, qui estime que Pigeons attire ainsi un nouveau public, sans s’aliéner ses fidèles, y explore en tout cas un langage plus poétique, plus subjectif. «Je ne suis pas auteure, alors quand je veux vraiment inventer, il faut que ça passe par le corps. Et lorsque je fais un spectacle proche de la danse, je suis plus personnelle. Et en même temps, plus abstraite. C’est comme un cheminement de plus en plus vers l’intérieur, où l’on essaie d’aller vers l’essence des choses. Avec tout ce que ça d’incertain et de pas clair pour moi-même. D’écouter cette voix-là, même si je ne suis pas sûre de ce que je cherche.»

Sur le plan thématique, Les Bacchantes marchent aussi dans les traces de Lettre d’amour à Tarantino, la chorégraphie signée par Vasconcelos pour Montréal-Danse, il y a deux ans. «Je continue ce dialogue avec les hommes, mais cette fois-ci d’une façon un peu plus virulente, explique-t-elle. Je voulais explorer la puissance des femmes, à tous les niveaux, jusqu’à la violence, la colère, encore très taboue. On a toutes un fond de guerrière à l’intérieur de nous, mais on étouffe cette partie mâle, on ne veut pas lui permettre d’exister. Comment serait le monde si les femmes avaient le dernier mot? Je ne sais pas ce que ça donnerait, mais je trouve que ça vaut la peine d’essayer (rire).»

Elle-même, évoluant dans un milieu privilégié, n’a pas toujours été sensible à la question. «Je n’avais jamais senti que j’étais affectée par la domination des hommes. Je ne la voyais pas… jusqu’à ce que j’aie des enfants. J’ai alors constaté tout ce que la société ne fait pas pour aider les femmes qui élèvent des enfants et travaillent en même temps. Bien au contraire! Et quand je remonte à la source des choses qui me nuisent, je vois des décisions prises par des hommes.??\»

Pour investir ses personnages féminins de multiples pouvoirs, la metteure en scène a puisé, pour la première fois avec Pigeons, dans la mythologie grecque, exhumant les farouches Bacchantes. Ces amazones possèdent le pouvoir surnaturel de transformer les choses. Mais à l’arrivée, on est assez loin de la pièce d’Euripide… «Je me suis inspirée du mythe, en m’accordant ensuite une liberté totale. Par exemple, mes Bacchantes ne sont pas des disciples de Bacchus. Je me suis servie de plein de symboles. Puis, j’ai transposé ça dans un univers contemporain où, à travers cette énergie bacchanale, les femmes envoûtent, séduisent, émerveillent les hommes. Et défont tout, et tous ceux qui se mettent en travers de leur chemin.»

Ce spectacle en forme de «poème visuel», sis dans un décor dont l’opulence évoque un club privé ou un grand hôtel, veut donc «célébrer la force des femmes», leur plaisir à exercer le pouvoir. Féministe, certes, mais pas dans le sens péjoratif, anti-mâle, que plusieurs accordent malheureusement à ce mot. «Les hommes dans le spectacle sont d’égale force. Si on fait un spectacle sur un duel entre les sexes, c’est seulement intéressant si les hommes sont forts, si on ne peut pas deviner quel en sera l’aboutissement. Alors, c’est pas de diminuer les hommes, mais de remonter les femmes pour qu’elles soient sur un pied d’égalité. D’ailleurs, on me dit souvent que les hommes dans mes shows ont de la gueule! C’est l’un des plus beaux compliments qu’on puisse me faire…»

Même s’il veut «transcender la guerre des sexes», le spectacle de Paula de Vasconcelos n’ira pas sans une certaine provocation. «Il n’y a pas de thème plus provocant que les Bacchantes: elles transgressent tous les tabous, dévorent leurs propres enfants s’ils refusent de participer au rituel, baisent avec n’importe quoi, mangent comme des ogres, détruisent des villages… Donc, si je fais un gentil spectacle autour des Bacchantes, j’ai raté mon coup. Il faut qu’il soit un peu perturbant. J’espère que les gens vont dire: "Elle va un peu loin, là…" »

Du 20 au 23 mai
À l’Usine C
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