Alain Platel : En avant la musique
Attiré par les artistes qui portent une énigme, ALAIN PLATEL est un créateur atypique dans le paysage de la danse-théâtre en Europe. Il présente un spectacle au Festival de théâtre des Amériques jusqu’à dimanche.
Alain Platel est un créateur singulier. Formé en pédagogie psychologique, ce Belge a exercé le métier d’orthopédagogue auprès d’enfants avec des problèmes – d’ordre physique, psychologique ou social – pendant cinq ans, tout en pratiquant la danse et le théâtre… en amateur. Ses performances avec ses amis suscitant de l’intérêt, les voilà invités en 1984 au Festival du mouvement à Anvers, ce qui encourage le créateur à continuer. Petit à petit, Platel a gagné la reconnaissance dont il jouit maintenant. «Je dois avouer que ce qui m’est arrivé, depuis cinq ans, ça tombe du ciel», rit Alain Platel, de sa voix très douce.
«Quand j’ai commencé à faire ce métier de façon plus professionnelle, on me demandait toujours le lien entre l’orthopédagogie et le théâtre, et au début, je l’ai nié, très fort, se rappelle-t-il. Je voulais vraiment passer à autre chose. Mais maintenant, je comprends qu’il y a beaucoup de ce que j’ai vécu pendant cette période qui entre dans les spectacles. Peut-être inconsciemment. Mais, depuis à peu près 10 ans, il y a toujours des enfants qui participent à mes spectacles.»
Platel, qui est déjà venu à Montréal il y a trois ans, à l’occasion du Festival de nouvelle danse, pour présenter Bonjour madame, comment allez-vous, il fait beau (…), revient cette fois à la faveur du FTA, un événement qui flirte décidément beaucoup avec la danse cette année. Iets op Bach, joué jusqu’à dimanche au Monument-National, relève de ce genre indéfinissable qui évolue à l’intersection des deux arts.
Alain Platel réfute pourtant le titre de chorégraphe. «Je n’invente pas de danses, je n’explique pas aux danseurs comment il faut bouger. Je me considère plutôt comme un genre de catalyseur. Je travaille comme, je crois, beaucoup de chorégraphes aujourd’hui: je pose des questions aux danseurs, j’organise des improvisations. Et je leur propose des thèmes, ou j’essaie de découvrir ce qui les préoccupe. Je crois que ce qui fait ce spectacle unique, c’est la composition de la troupe. Et les histoires et thèmes que eux ont amenés, et qu’ils ont développés.»
La compagnie Les Ballets C. de la B. fonctionne à la façon d’un collectif. Platel recrute ses danseurs d’abord pour ce qu’ils sont. Par exemple, quand il faisait passer des auditions – maintenant que les candidats se bousculent, il préfère les rencontres personnelles -, il était toujours attiré par les artistes «qui se cachaient un peu», qui portaient une énigme. Pour Iets op Bach, on compte huit interprètes, tous issus de pays différents et de diverses disciplines, plus deux enfants, dont une bambine qui se promène librement sur scène, et dont la présence n’est pas assurée chaque soir: il faut qu’elle ait envie de monter sur scène.
Comme son titre le suggère, Iets op Bach («un petit truc sur Bach»), dernier volet d’une trilogie autour de la musique baroque, s’inspire de l’ouvre du grand Jean-Sébastien. Avec le directeur musical, Roel Dieltiens – «un interprète de Bach célèbre chez nous» -, Platel a privilégié la dimension émotionnelle méconnue d’une musique dont on relève habituellement la part cérébrale, analytique. Rendus par neuf musiciens et trois chanteurs, les accents célestes de Bach s’entrechoquent, en contraste, avec la dureté de ce qui se déroule sur scène. Une vision plutôt indescriptible, plusieurs actions se catapultant au même moment. «Baroque» qualifie assez bien le style Platel, aussi…
Slogans révolutionnaires, acrobaties périlleuses, et artistes qui montrent leurs blessures, leurs cicatrices, morales ou physiques. Créateur controversé, parfois qualifié de «démagogue», Alain Platel assure qu’il ne tente pas de choquer délibérément. «Mais c’est sûr que je n’ai pas peur de montrer des images qui me dérangent moi, personnellement. Et je constate que je ne suis pas le seul à être dérangé par ces images-là. Mais la majorité du public est touchée de façon positive.»
On pourrait dire, en tout cas, que l’ancien orthopédagogue continue à faire ouvre d’humaniste, puisque ses spectacles mettent en lumière des gens malmenés par la vie, et présentent un aspect réaliste très direct. «Je dois vous dire que je suis pessimiste, avoue-t-il. Très. Mais ce n’est pas un spectacle complètement noir. Il y a la force des gens, ce qui nous fait rêver et nous donne de l’espoir.»
Comment voit-il son rôle? «Je me sens très ambigu par rapport à ça. Je constate que le théâtre est un métier de luxe, dans le sens où l’on me donne la possibilité de faire ce que j’ai envie de faire. Et en même temps, je ne suis pas aveugle quant à ce qui se passe autour de moi, alors je me sens un peu gêné. Donc, j’essaie de trouver un lien entre faire des spectacles et vivre à l’extérieur. Je ne pourrais pas créer un spectacle esthétique qui est loin de ce qui se passe autour de nous.»
Du 3 au 6 juin
À la salle Ludger-Duvernay du Monument-National
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