Bêtes de foire : La bête humaine
Estelle Clareton et Alain Francour clôturent la saison de Tangente avec chacun une nouvelle pièce puissante et déroutante. Coup double.
Le dernier spectacle de la saison à Tangente révèle des signatures en émergence et originales. Les chorégraphes invités proposent une danse personnelle aussi différente qu’intéressante.
Estelle Clareton se lance à l’eau la première avec un solo intitulé Je pense à autre chose. Après avoir créé et dansé ses premières chorégraphies, cette ex-danseuse d’O Vertigo a confié l’interprétation de sa pièce à Anne-Marie Boisvert. Formée, comme Estelle Clareton, à la gymnastique, au ballet et à la danse moderne, la danseuse livre une performance énergique, brutale, et épuisante.
Assis à une table, sous une lumière crue, son personnage d’apparence réservée a toutes les misères du monde à maîtriser des mouvements qui ne répondent plus aux ordres de son cerveau. Au cours de cette danse échevelée, les vêtements tourbillonnent. À la toute fin, il ne reste qu’une femme essoufflée, le corps braqué et à demi nu.
Contrairement à ses précédentes créations, plus bavardes que dansées, Estelle Clareton se donne cette fois-ci à fond dans la recherche chorégraphique. Et ça lui réussit. Sa gestuelle complexe provoque des sourires: des mouvements de jambes et de bras déployés au maximum qui se font et se défont à un rythme affolant. Malgré sa courte durée, cette performance confirme l’originalité et la puissance chorégraphique d’Estelle Clareton. Vivement une ouvre plus longue pour qu’on puisse mesurer l’ampleur de son talent (ce qu’elle fera bientôt chez Montréal Danse).
L’ouvre de son confrère Alain Francour est d’une texture totalement différente. Ce chorégraphe et danseur autodidacte, qui a d’abord travaillé au théâtre, signe une deuxième pièce déroutante de 45 minutes environ. En raison de son caractère expérimental, Bêtes de foire suscite des sentiments ambivalents. On applaudit l’originalité du concept _ le dévoilement du désir d’exhibitionnisme de l’homme _ et on rit de l’interprétation loufoque et maîtrisée des danseurs Peter James, Lina Cruz et Elinor Fueter. Ces derniers nagent comme des poissons dans l’eau dans cet univers inusité et kitsch à souhait. En particulier Lina Cruz qui bouge comme une poupée désarticulée, et dont le regard désincarné ajoute au caractère original de la pièce.
On a du mal toutefois à ne pas regarder notre montre de temps en temps. C’est souvent le danger de ce type de chorégraphie qui mélange les genres, et qui cherche à nous faire réfléchir. Comme ça reste abstrait, on a l’impression de ne rien comprendre au message de l’auteur. Un sentiment frustrant à la longue. Pour public averti.
Jusqu’au 5 juin
À Tangente
Trio classique
Chez les Grands Ballets Canadiens, on n’a pas à se creuser les méninges pour comprendre le sens des ballets à l’affiche. C’est clair comme de l’eau de roche. Comme à son habitude, la compagnie montréalaise propose une soirée variée et divertissante. La pièce d’ouverture, Before Nightfall, du Néerlandais Nils Christe, a d’abord été créée, en 1985, au Ballet de l’Opéra de Paris. Dansée sur une musique dramatique évoquant une intrigue de cinéma des années 40 (du compositeur Bohuslav Martinu), cette succession de pas de deux assure le beau rôle aux danseuses. Ces dernières se tirent d’ailleurs très bien d’affaire. Elles interprètent une profusion de mouvements fluides, élancés et dynamiques, plus proches du langage contemporain que classique. Une très belle chorégraphie.
Quant au deuxième ballet, Pillar of Fire, d’Antony Tudor, la troupe se retrouve au cour d’une intrigue amoureuse. Ce ballet monté pour la première fois au milieu de la Seconde Guerre mondiale propose une gestuelle complexe et originale malgré la naïveté du propos. Dans un décor grandiloquent, Anik Bissonnette incarne une amoureuse sensible livrant un jeu empreint de nuances. Tout est bien qui finit bien: son partenaire Alexi Lapshin, aussi excellent, se laissera séduire par la demoiselle.
La pièce de clôture reste la moins réussie de la soirée. Il s’agit de Thèmes et Variations de George Balanchine. Va pour les tulles rose nanane et les chignons lisses qui donnent aux danseuses l’allure d’athlètes de nage synchronisée. C’est l’interprétation ordinaire qui cloche dans ce ballet classique. On a l’impression d’assister à un exercice de style plutôt qu’à un spectacle achevé. La danseuse principale, Geneviève Guérard, n’avait pas, le soir de la première, la puissance souhaitée pour nous faire rêver. Dommage.
Jusqu’au 5 juin
Au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts
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