Deux pianos Quatre mains : Fausses notes
Permettez-moi d’apposer un bémol au concert d’éloges que reçoit actuellement la comédie Deux pianos Quatre mains. Ce spectacle dirigé par Denise Filiatrault au Rideau Vert, mettant en vedette les comédiens-musiciens Grégory Charles et Jean Marchand, est à l’univers du piano classique ce que Broue est à la faune des tavernes: une série d’anecdotes comiques racontées par des personnages clichés, à propos d’un monde fermé.
Bien sûr, Deux pianos Quatre mains nous parle de gens cultivés et raffinés que les buveurs de Broue ne peuvent pas connaître. Mais, sur le plan de l’écriture dramatique, la pièce des Canadiens Ted Dykstra et Richard Greenblatt, dans la traduction québécisante de Danièle Lorrain, se rapproche davantage de la prose de Louis Saïa que de celle de Marguerite Duras. Ni plus ni moins que du bon théâtre d’été en ville.
Avec cette pièce, les auteurs racontent le parcours de deux jeunes pianistes rêvant d’une carrière internationale. En fait, c’est l’histoire de leur propre enfance: leurs dures années d’apprentissage, leurs espoirs, leurs sacrifices et, ultimement, leur déception: ils ne joueront jamais à Carnegie Hall ou à la salle Pleyel. Au mieux, ce sont «les meilleurs pianistes de leur quartier?»…?
Malheureusement, ce thème universel de la mort d’un rêve est très mal exploité. Il arrive seulement dans les dix dernières minutes d’un spectacle d’une durée de deux heures trente avec entracte. Ted Dykstra et Richard Greenblatt s’attardent plutôt sur des événements mineurs de leur jeunesse (essentiellement de cinq à quinze ans), sans réelle portée: les rapports avec leurs professeurs aux accents étrangers et aux egos démesurés; le stress des premiers examens; la discipline imposée par les parents, etc. Bref, le condensé de deux enfances parsemées d’ambitions… et d’illusions.
Les auteurs parlent plus des personnages secondaires que d’eux-mêmes. Quelles sont les réelles motivations et les véritables passions qui les lient à la musique? Mystère… Quand le rideau tombe sur leurs espoirs déchus, on ne sait rien sur la psychologie des deux protagonistes, tellement ce récit est basé sur des détails et sur des aspects secondaires de leurs personnalités. Est-ce le piège d’une ouvre autobiographique? Les auteurs auraient gagné à soumettre leur texte à un «\vrai» dramaturge qui lui aurait donné une portée plus grande, voire universelle.
Reste que pour le public du Rideau Vert, vendredi dernier, c’était du gâteau. Dans le jargon du métier, on appelle Deux pianos Quatre mains un crowd pleaser. Depuis sa création à Toronto, au printemps 1996, la comédie a été produite dans onze villes canadiennes et a tenu l’affiche pendant 174 représentations off-Broadway à New York. (Les tabloïds ont aimé, mais le prestigieux New York Times a descendu la pièce.)
Aux extraits du répertoire classique exécutés par les acteurs-musiciens (Grégory Charles et Jean Marchand livrent parfaitement la marchandise), quelques morceaux populaires de Billy Joel, Elton John ou John Lennon viennent, ici et là, titiller l’oreille du public. La production montréalaise comporte aussi quelques clins d’oil, dont le thème musical de Moi et l’Autre; merci à Denise Filiatrault dont la mise en scène ne ménage pas les trucs efficaces.
À la fin, Grégory Charles et Jean Marchand interprètent un mouvement d’un concerto de Bach. Cette finale entièrement musicale m’a semblé plus émouvante que tout le reste de la représentation!
Jusqu’au 30 juin
Au Théâtre du Rideau Vert
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