Arturo Brachetti : Profession: transformiste
Cet été, le Festival Juste pour rire commence deux semaines plus tôt… Avant son coup d’envoi, le 15 juillet prochain, ARTURO BRACHETTI transformera la salle Pierre-Mercure en un musée vivant des légendes de ce siècle. En première mondiale, le performer italien présente son plus récent spectacle.
C’est un drôle de phénomène, cet Arturo Brachetti. Un enfant de la balle qui semble tout droit sorti d’un film de Fellini.
Italien cultivé (il parle cinq langues, dont un français impeccable); oiseau de nuit qui court les discothèques branchées de Berlin et de Londres (il découvre avec joie le nightlife montréalais); artiste de music-hall aimant raconter des anecdotes sur les Folies-Bergères; poète et magicien de la scène: seignore Brachetti est habité par une belle folie créatrice.
C’est un spécimen rare, cet Arturo Brachetti. Il a découvert le plaisir du théâtre et du déguisement… au séminaire, à Turin. Il a 14 ans. Un prêtre s’adonnant à la prestidigitation (!) lui montre ses premiers tours de magie. En même temps, dans les caves du collège, le jeune élève découvre des malles où dorment des centaines de costumes. Il se travestit en femme lors d’un spectacle étudiant; c’est une religieuse qui fera les retouches sur sa première robe!!!
Une enfance fellinesque, disait-on…
Par la suite, Brachetti va conquérir les grandes capitales européennes en faisant renaître un art oublié: le transformisme. Cet art consiste à changer furtivement de costume et à incarner le plus grand nombre possible de personnages en un seul spectacle. Dans son one man show, qui sera créé le 29 juin, à la salle Pierre-Mercure, Brachetti en incarnera une centaine, fictifs et réels, en moins de cent minutes!
D’Esther Williams à Carmen Miranda, de Blanche-Neige à Liza Minelli, en passant par King Kong, Frankenstein et Scarlett O’Hara.
Attention! Il ne faut pas confondre le transformisme et le travestisme: «Je ne fais pas seulement des personnages féminins», explique le jeune homme en sirotant un espresso noisette bien serré. «Je peux me transformer autant en un animal qu’en un arbre ou qu’en une figure historique. Je ne fais pas non plus d’imitation ou de play-back. Chaque personnage me sert à évoquer une atmosphère, un souvenir. Ce n’est pas seulement une parade de costumes: chaque numéro a un sens et une émotion. J’ai même un numéro-hommage à Federico Fellini, dans lequel je fais défiler tous les films du grand maître en huit minutes!?»
Le mélange des genres
Le transformisme est un art à la fois bâtard et unique. Il «fleurit sur l’improbable frontière» entre la magie, le cabaret expressionniste allemand, les ombres chinoises, l’opéra, les variétés, le music-hall… «Ce n’est pas du théâtre: c’est un spectacle de variétés théâtralisé, affirme Pierre Bernard, qui assure la direction artistique de la production. Le génie de Brachetti tient au truc. Quand j’assiste aux répétitions, ça m’impressionne à tout coup. Je me demande toujours comment il peut passer d’un personnage à l’autre en deux ou trois secondes… Et, chaque fois, je ressens un émerveillement proche de l’enfance!»
Arturo Brachetti est l’émule d’un grand artiste transformiste: Leopoldo Fregoli. Au début du siècle, Fregoli était le maître du genre, et l’un des artistes les plus célébres d’Europe (aussi connu que Sarah Bernhardt). D’ailleurs à l’époque, dans son Manifeste du futurisme italien, Marinetti fait l’apologie du transformisme, «une exaltation du modernisme et de la vie rapide qui, avec ses surprises et ses changements rapides, est représentatif du mouvement futuriste».
À sa mort, en 1936, Fregoli a emporté dans sa tombe les secrets du transformisme. Il faudra attendre qu’Arturo Brachetti repopularise cet art au début des années 90.
L’artiste de 32 ans a fait ses débuts scéniques au Paradis Latin à Paris, un cabaret du Cinquième arrondissement dirigé par Jean-Marie Rivière. Puis, Brachetti s’est rendu en Allemagne et en Autriche jouer dans Flic Flak, un spectacle inspiré des cabarets berlinois de l’entre-deux-guerres. De retour en Italie, il travaille à la télévision et au théâtre (il joue, entre autres, dans Mr. Butterfly, aux côtés d’Ugo Tognazzi; et incarne Puck, dans une relecture postmoderne du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare).
C’est avec un spectacle-hommage à son illustre prédécesseur, Fregoli, que le transformiste connaît son premier gros succès: 280 000 spectateurs au cours de sa première saison en Italie seulement! Le clé de ce succès? \«Mes spectacles sont comiques, mais ils contiennent aussi des moments poétiques et touchants qui les rendent universels», dit le principal intéressé.
Cette formule a plu à Gilbert Rozon qui a dépisté le talent de Brachetti en Europe. Au Festival Juste pour rire, en 1¬997, Rozon a présenté une version de 40 minutes de Brachetti in Technicolor, sur une scène extérieure du Vieux-Port.
Cet été, le clan Rozon lui offre un pont d’or. Le Festival présente en primeur la première mondiale de son dernier spectacle dans sa série Les Incontournables. Et la diva de Turin est (bien) entourée du nec plus ultra théâtral de Montréal: le metteur en scène Serge Denoncourt – qui a temporairement mis fin à son année sabbatique pour ce show; le scénographe Guillaume Lord; François Barbeau à la surpervision des costumes; Larsen Lupin à la conception sonore; sans oublier Pierre Bernard.
Qui ne risque rien n’a rien…
Dès le 29 juin
À la Salle Pierre-Mercure du Centre Pierre-Péladeau
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