Denise Filiatrault : Ciel, mon public!
Scène

Denise Filiatrault : Ciel, mon public!

À 68 ans, DENISE FILIATRAULT persiste et signe sa neuvième mise en scène en autant d’années pour le Festival Juste pour rire. En attendant le tournage du prochain Laura Cadieux, le retour de Grace et Gloria, et la reprise de Demain matin, Montréal m’attend. Rencontre avec une femme inépuisable.

Une entrevue avec Denise Filiatrault prend parfois des allures de tempête quand la Grand Jaune se déchaîne _ après avoir bien pris soin de fermer le magnétophone du journaliste _ pour écorcher d’autres ego du milieu artistique québécois. Mais, éthique oblige, ces propos resteront au fond de mon tiroir…

Au propre comme au figuré, elle ne tient pas en place, Denise Filiatrault. Cette femme carbure aux projets et aux défis. Comme si elle avait toujours quelque chose à prouver. Ces jours-ci, elle se lève tous les matins à quatre heures. Elle fait du repérage en vue du tournage de Laura Cadieux 2 qui débute, à la mi-juillet. Dans la foulée du succès du premier (2,5 millions de dollars aux guichets), Filiatrault a scénarisé et réalisera le deuxième film d’après ces personnages de grosses femmes au cour tendre imaginés par Michel Tremblay. Et les soirées de la metteure en scène sont consacrées aux répétitions de Monsieur Chasse. Ce vaudeville signé Georges Feydeau, prendra l’affiche du Théâtre Saint-Denis, le 2 juillet, avec, entre autres, Yves Desgagnés, Diane Lavallée, Carl Béchard, Normand Lévesque, Linda Sorgini.
Curieux et explosif mélange d’insécurité et d’orgueil, de modestie et d’arrogance, de doute et de certitude, Denise Filiatrault est un cas. Sous les arbres de la terrasse du Saint-Sulpice, l’artiste m’accorde une heure de son temps pour la promo de son spectacle. Exercice d’autant plus important que cette production privée (Les Films Rozon inc.) n’a pas de grosses têtes d’affiche cette année pour faire vendre des milliers de billets.

Selon Denise Filiatrault, le succès d’un film ou d’une pièce tient à ceci: \«Premièrement, une bonne histoire; deuxièment, une bonne histoire; et troisièmement… une bonne histoire!?» Et le secret de ses mises en scène réside en un souci constant du public: «Dans mes choix de pièces ou de mes mises en scène, je pense toujours au public. Je veux que les gens s’amusent. \Ça ne s’appelle pas le Festival Juste pour rire pour rien! Ma crainte, c’est que les spectateurs s’ennuient pendant un de mes shows. Je ne suis pas capable de prendre ça. Je ne sais pas si c’est par amour du public ou par orgueil… Monsieur Parizeau m’a fait un beau compliment, un jour. Il m’a dit: "Avec vous, on ne se trompe pas. On se rend au théâtre les yeux fermés, parce qu’on est sûr de passer une bonne soirée."»

Et cet été, côté amusement et légèreté, les gens qui se rendront au Saint-Denis II seront bien servis avec Monsieur Chasse, une comédie écrite en 1892 par un des maîtres du vaudeville français. Auteur de plus de soixante pièces en une quarantaine d’années, observateur de la société de la fin d’un autre siècle, Feydeau a écrit cette réplique dans La Dame de chez Maxim: «N’est-elle pas plus morale, l’union libre de deux amants qui s’aiment, que l’union légitime de deux êtres sans amour?» Réplique qui résume toutes les intrigues du théâtre de Feydeau, dont celle de Monsieur Chasse.

Monsieur Chasse raconte les infidélités d’un mari (Yves Desgagnés) qui prétend aller à la chasse pour, en fait, rencontrer sa maîtresse. Sa femme (Diane Lavallée) découvre le pot aux roses. Pour se venger, elle prend aussi un amant (Carl Béchard) qui l’entraîne dans sa garçonnière située, par hasard, dans le même immeuble qui abrite les amours illicites de son mari.

Question. À l’heure où le citoyen moyen est blasé des adultères d’un président américain avec sa stagiaire, les «Ciel mon mari!» du dramaturge français ne sonnent-ils pas un peu démodé? «C’est un vaudeville, il faut le prendre comme un bon divertissement, rétorque la metteure en scène. Ce n’est pas Claudel. Ni Tchekhov. Il faut jouer le style qui est outré comme une bédé de Bretécher ou des dessins animés. Les personnages sont dénués de réalité, mais les anecdotes sont bêtement réelles. En plus, la structure suit une logique et une mécanique rigoureuses.

«Pour l’histoire, c’est très bébé la la!, ajoute Filiatrault. Je coupe, je coupe, et je recoupe dans le texte. Puis je vais couper encore d’ici la première. Certains metteurs en scène affirment que c’est intouchable, un classique! Qu’en changeant une réplique, toute la pièce s’écroule… On ne peut pas monter une comédie aujourd’hui de la même façon qu’il y a cent ans. S’il vivait en 1999, Feydeau¬ lui-même couperait dans ses pièces pour que ça marche avec notre époque.»

Denise Filiatrault, qui avait dirigé Le Dindon au Rideau Vert, voulait monter depuis longtemps un Feydeau pour le Festival Juste pour rire. «En France, Feydeau est considéré comme le fils spirituel de Molière. Ici, il souffre d’un préjugé défavorable. À Paris et à Londres, on va voir des pièces légères et comiques sur les Grands Boulevards ou dans le West End. À Montréal, c’est automatiquement du théâtre d’été! Pourquoi ne peut-on pas en avoir pour tous les goûts, en toute saison?»

L’an prochain, la metteure en scène fêtera ses dix ans de collaboration avec le Théâtre Juste pour rire grâce auquel elle a pu visiter un très vaste répertoire: de Molière à Terrence McNally en passant par Marcel Pagnol. Une association fructueuse avec Rozon qui lui a permis de relancer une carrière qui s’éloignait de plus en plus du théâtre. Toutefois, la principale intéressée ne partage pas ma théorie.

«Relancer… J’comprends pas ce mot-là. François Flamand et Gilbert Rozon sont venus me chercher parce que personne ne voulait monter Les Palmes de M. Schutz. Et moi, je suis tout de suite tombée en amour avec cette pièce-là. Qu’est-ce que ça veut dire "relancer"??»

Ça y est! La tempête Filiatrault, si redoutée des acteurs, se déchaîne à la fin de l’entrevue. Puis elle se calme. On se laisse benoîtement devant le Théâtre Saint-Denis, en se disant: «À la prochaine chicane!»

Dès le 2 juillet
Au Théâtre Saint-Denis II
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