La Capitulation : La défaite de la pensée
Il est rare que le monde de l’humour et l’univers du théâtre «expérimental» très sérieux se rencontrent. Quand l’un se frotte à l’autre sur scène, devinez lequel en prend pour son rhume…
Membre du quatuor comique Les Bizarroïdes, rédacteur publicitaire et auteur de pièces (Le Grenier), cofondateur du Théâtre du Grotesque et du Sublime, Stéphane E. Roy oscille lui-même entre l’art théâtral et celui de faire rire. Sa pièce La Capitulation, créée il y a un an en autogéré, et reprise jusqu’au 21 juillet dans le cadre du Festival Juste pour rire, se veut une modeste satire, un «plaidoyer pas sérieux du tout contre le théâtre intellectuel» et déconnecté de la vie.
Présentée à La Licorne, cette pochade joue sur une série de coups de théâtre qui pousse jusqu’au bout la désillusion scénique, la traversée du miroir. La Capitulation s’ouvre sur la représentation d’une pièce outrageusement absconse et ampoulée, que l’interprète principal (Stéphane E. Roy), craquant sous la pression, en proie à un «blanc», interrompt bientôt pour livrer ses états d’âme au public. Multipliant les décrochages, il abolit le quatrième mur, remet en question la pièce – «C’est pas parce que je joue ça que je l’assume!» -, se moque des prétentions du metteur en scène. La pièce annoncée n’aura pas lieu, mais tout ça «était prévu» dans le texte, comprend-on, troisième niveau de cette mise en abyme. (Le programme va jusqu’à reproduire les biographies fictives de l’auteur et des acteurs de la pièce… dans la pièce.)
L’interruption de la représentation devenant systématique, le procédé (pas vraiment neuf, avouons-le) finit par s’essouffler quelque peu. D’autant que, malgré des piques bien envoyées (dénonciation des fausses supplémentaires comme système de marketing; «les grands comédiens sont rarement des intellectuels»), le texte ne casse rien, ne renouvelant guère le discours usuel sur le théâtre.
Menée assez astucieusement, la deuxième partie se révèle nettement plus drôle, alors que toute la troupe est réunie pour faire le post-mortem de cette laborieuse rentrée québécoise, après quatre années passées en Europe de l’Est, à jouer l’ouvre méconnue d’un «grand auteur russe». Ah, les joies de la création autogérée (un peu d’autodérision, ici?)! La parodie profite des personnages typés, dont les différentes aspirations s’entrechoquent: le metteur en scène songé et despotique (Martin Rouleau, dans une composition amusante et soutenue), qui prêche un théâtre austère, ne se souciant pas des masses; l’éternel interprète de soutien (Stéphane Franche), tanné de jouer les seconds violons; et le technicien (Marc Bélanger, désopilant de naturel), dont le prosaïsme ordinaire sert de savoureux contrepoint aux prétentions artistiques de la bande.
Certes la satire aurait pu être plus mordante, mais La Capitulation joue plutôt efficacement son rôle divertissant. Reste que la pièce repose parfois sur des idées répandues, symptomatiques des armes inégales dont disposent l’humour et le théâtre de création au Québec: le mépris du spectateur chez les intellectuels, dont les pièces, incompréhensibles, ignorent un public qui, pourtant, les subventionne…
Dans une société souvent morte de rire, sous les auspices, en outre, d’un Festival qu’on ne peut certes pas accuser d’intellectualisme à outrance, avouons que c’est une proposition plutôt drôle…
Jusqu’au 21 juillet
À La Licorne
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