What the Butler Saw : Filer à l'anglaise
Scène

What the Butler Saw : Filer à l’anglaise

Curieux destin que celui de Joe Orton, enfant terrible du théâtre anglais dans les années 60, mort assassiné par son amant à l’aube de sa gloire. Ce dramaturge a laissé, entre autres, trois pièces populaires: Entertaining Mr. Sloane, Loot et What the Butler Saw. Le Festival Juste pour rire a décidé de produire What the Butler Saw, dans le cadre du Just for Laughs Theatre, dirigé depuis peu par Joel Greenberg, qui est également responsable de la mise en scène.
Le théâtre de Joe Orton ressemble à du Feydeau sur l’acide! En empruntant la forme et les conventions du vaudeville classique, le dramaturge britannique a écrit des satires sociales vitrioliques. Créée après la mort de l’auteur, en 1969, mais écrite en 1967, What the Butler Saw est une farce imprégnée du souffle irrévérencieux de la contre-culture du swinging London.

La pièce est une suite d’invraisemblances assez salées, pendant lesquelles les personnages se déshabillent aussi souvent que dans une salle d’essayage. Nous sommes dans une clinique psychiatrique, plus précisément dans le bureau du Docteur Prentice (Noel Burton). Ce dernier reçoit en entrevue une jeune et jolie secrétaire (Helen King). Il la convain, sans grand effort, de tout enlever et de s’allonger sur un canapé, derrière un rideau, afin qu’il puisse l’examiner (pour Prentice, un bon psychiatre doit porter autant d’attention au corps qu’à l’esprit!). Surgit alors sa femme (Bronwen Mantel), nue sous son manteau de fourrure (on lui a dérobé ses vêtements dans un hôtel?!). À la suggestion de son mari, elle enfilera la robe de la secrétaire…

Voilà l’amorce d’une série de quiproquos et de situations rocambolesques. Le public y perd son latin! Le couple infidèle se donnera de l’assurance en enfilant scotch par-dessus scotch. Mais leur cynisme et leur ironie finiront par devenir grotesques. Dans un ingénieux clin d’oil, Joel Greenberg nous réserve d’ailleurs une finale qui montre à quel point ces personnages sont, pour Orton, les déroutantes créatures de la fin d’une civilisation.

Il n’y a pas de valet dans What the Butler Saw. Mais on retrouve de fiers et dignes représentants de la bourgeoisie anglaise. Une classe décadente, semblable à celle des pièces de Steven Berkoff, dans les années 80. Sous le couvert de la comédie et de la légèreté, les répliques de Joe Orton poussent comme des chardons sous le fumier du jardin de la bonne conscience britannique. Tout y passe: la famille, la médecine, la justice, les mours sexuelles, les valeurs morales et religieuses. Mine de rien, Orton expose les vices et l’hypocrisie de cette tribu de gens civilisés. Cette même élite qui admire le génie de Francis Bacon ou d’Oscar Wilde, mais trouve shocking les amours homosexuelles entre deux adultes consentants.

Beaucoup d’eau a coulé sous le London Bridge depuis que Joe Orton allait draguer dans les parcs et les toilettes publiques. Si les mours ont changé, l’hypocrisie demeure (l’élite affiche plus de tolérance envers les gais mais arrache les buissons dans les lieux de drague…). Malheureusement, le metteur en scène n’a pas su faire une lecture actuelle de l’ouvre, et le spectacle n’a pas d’impact.

Cette production, à l’affiche de la salle du Gesù jusqu’au 1er août, demeure beaucoup trop sage. On ne retrouve pas dans la mise en scène l’iconoclasme propre au texte. Et les chansons des Beatles, qui accompagnent le spectateur avant la représentation et durant l’entracte, ne suffisent pas. La contestation sociale d’Orton ne se résume pas à quelques airs nostalgiques. Selon la volonté du dramaturge, les concepteurs ont opté pour un décor et des costumes naturalistes, mais l’ensemble manque de raffinement. Après un début pénible et un jeu plutôt lent, les comédiens ont finalement pris leur vitesse de croisière. Mentionnons surtout l’excellente prestation de Bronwen Mantel en Mrs. Prentice; et la belle polyvalence du jeune diplômé de l’École nationale de théâtre Brendan McClarty.

Il faut toutefois bien comprendre l’anglais pour jouir pleinement de la langue d’Orton. Les comédiens s’exprimant avec l’accent britannique, le spectateur peu familier risque de perdre des mots d’esprit et des répliques du tac au tac dont le texte est fleuri.

Jusqu’au 1eraoût
À la salle du Gesù
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