Les Belles Ratoureuses : Filles d'aujourd'hui
Scène

Les Belles Ratoureuses : Filles d’aujourd’hui

C’est une pièce de Diana Amsterdam, Les Belles Ratoureuses, qui est présentée tout l’été au Théâtre de Rougemont. Une comédie enlevée qui montre les tiraillements de la femme contemporaine.Ce sont les femmes qui tiennent le haut du pavé dans Les Belles Ratoureuses. Autant les personnages de la pétillante comédie de Diana Amsterdam que les artistes aux commandes de cette production mise en scène par Sophie Clément au Théâtre de Rougemont, dont Suzanne Champagne est la directrice artistique.

La pièce de l’auteure américaine (connue pour ses monologues Sex and Death) joue sur les ambivalences de la femme contemporaine, tiraillée entre l’engagement amoureux et l’autonomie, avec l’ombre du sida qui plane en arrière-plan, le virus mortel, plus que la morale, servant désormais de garde-fou sexuel aux femmes célibataires…

Lucie (Annette Garant) est une belle éditrice de 36 ans, passionnée, indépendante et pas femme d’intérieur pour deux sous, qui protège jalousement sa liberté et collectionne plus ou moins les amants. Ce matin-là, sort justement de son lit un (très) jeune étalon (le nouveau venu Hugo Giroux), dont le patronyme lui échappe… Une situation qui horrifie son amie et voisine en mal d’amour (Suzanne Champagne), elle qui est boudée par son homme et dont le téléphone demeure désespérément aphone. Collante, curieuse, protectrice, Corinne campe littéralement chez sa copine, la surveille et veut se mêler de tout. «Si tu ne me racontes pas tout ce que tu fais avec les hommes, moi je n’ai plus de vie amoureuse», se lamente cette espèce de Kramer – l’importun voisin de Seinfeld – au féminin, aussi maladroite que bien intentionnée.

La situation se complique encore quand, avisée qu’une amie d’enfance de Lucie agonise à l’hôpital, sa mère (Sophie Clément) débarque de Toronto, bien décidée à marier sa fille pour lui éviter les périls du célibat au temps du sida – maladie jamais nommée, mais aisément reconnaissable. Ce véritable Terminator en tailleur n’entend pas déroger de sa mission: réconcilier sa fille avec Simon (Alain Zouvi, juste), un auteur avec qui elle vient de rompre, malgré une affection mutuelle, pour cause d’aspirations divergentes: il rêve d’une vie conjugale simple et de monogamie, alors qu’elle tient à son indépendance et soutient que le quotidien tue la passion. Bref, un couple qui renverse le schéma traditionnel…
Tout est donc en place pour la grande scène après l’entracte: voulant prouver à sa mère qu’elle n’est pas trop «facile», et donc recevoir une demande en mariage en bonne et due forme, Lucie se déguise en poupée-ménagère de luxe, style jeune fille de bonne famille à l’ancienne mode, dressée à susciter le désir tout en ayant l’air inaccessible. Déhanchements sensuels, moues à l’avenant, petits cris admiratifs et minauderies en tous genres: Annette Garant y trouve sa meilleure scène.

Quant à sa partenaire de scène, elle tient là un rôle «payant» qui semble fait sur mesure pour elle. Avec sa fibre comique naturelle, son énergie débordante, son visage mobile, inutile de dire que Suzanne Champagne capitalise très efficacement sur chaque réplique, chaque gaffe de la voisine envahissante, dont la bouche est aussi grande que le cour.
Outre une allusion gratuite à Jean Chrétien et son «que voulez-vous!», qui sonne racoleuse, le texte adapté par Josée La Bossière évite généralement les effets trop faciles, empruntant même parfois des tournures assez sophistiquées. Ce qui ne veut pas dire que le sexe, moteur comique de l’action, n’est pas omniprésent et abordé sans fioritures…

La pièce de Diana Amsterdam joue sur un abandon graduel du réalisme pour embrasser un humour débridé, multipliant, en fin de course, les situations un peu folles à un rythme trépidant. (On poussera jusqu’à l’absurde les poncifs de la comédie vaudevillesque, avec même des amants dans le placard.) Ainsi, le coup de fil de la mère à son mari culinairement inepte (il est de l’ancien modèle, celui-là), laissé seul à Toronto et nageant en plein désarroi, se révèle une scène aussi drôle que caricaturale. Plus tard, la maman – interprétée avec une autorité toute militaire par une étonnante Sophie Clément, dont la raideur pince-sans-rire fait merveille – comparera, en une métaphore cauchemardesque, la fameuse maladie transmise par le corps à corps à l’invasion des body snatchers. Écrite dans les années 80, en plein début de la panique collective autour du sida, Fast Girls trahit parfois un peu son âge. Aujourd’hui, les appréhensions sont mieux intégrées à la trame de la vie…
Mais ce léger décalage d’époque, ainsi qu’une conclusion à saveur plutôt conservatrice, où la belle «ratoureuse» rentre dans le rang, n’entame en rien le plaisir procuré par cette comédie enlevée.

Au Théâtre de Rougemont
Jusqu’au 30 août
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