Fin de partie : Parti pour la gloire
Scène

Fin de partie : Parti pour la gloire

Peut-on jouer Fin de partie en début de carrière? Doggo, une jeune troupe issue du Collège Lionel-Groulx, a osé. Le texte de Beckett est sublime; l’interprétation, un peu pâlotte.

Les membres de Doggo font leur entrée sur l’échiquier du théâtre professionnel en frappant un grand coup. Fraîchement diplômés et un brin impertinents, ils montent, en plein été, un fleuron de la dramaturgie contemporaine. Considérée comme l’une des ouvres les plus hermétiques du répertoire mondial, Fin de partie est aux antipodes des succès «juste pour rire» qui peuplent les scènes durant la saison du gros rire gras…
Créée pour la première fois en 1957, à Londres, Fin de partie est un objet théâtral éblouissant, écrit en français par un Irlandais aimant résoudre les problèmes linguistiques comme d’autres, les équations mathématiques. Doté d’un extraordinaire sens de l’observation, Samuel Beckett savait tirer de la vie sa substantifique molle. Son regard caustique et son génie du dialogue font de ses pièces (dont En attendant Godot, et Oh les beaux jours) des classiques. En s’attaquant à ce monstre sacré des lettres européennes, Doggo ne manque pas de culot. Qui a dit que l’on ne pouvait faire ses classes en compagnie des plus grands?

Sur la petite scène de l’Espace Geordie, un maître et son serviteur, chacun ayant sa spécialité (le premier ne peut pas se tenir debout, l’autre ne peut pas s’asseoir), s’affrontent à coups de répliques acérées. Hamm et Clov s’ennuient dans un intérieur sans meubles, coupé du monde, avec comme seuls compagnons deux vieillards enfermés dans des poubelles. Clov menace de quitter son tyran, tout en continuant d’accomplir les petits gestes qui meublent leur quotidien. Il ne se passe pas grand-chose dans cette Fin de partie, de la première réplique – «Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir» – à la tombée du rideau, et les protagonistes vaquent avec obstination à leur «ordinaire», pendant que «quelque chose suit son cours», visiblement conscients de s’offrir en spectacle.

Les personnages de Fin de partie déstabilisent le spectateur en lui rappelant constamment qu’il est au théâtre. En valet à la fois cruel et naïf, Blaise Tardif opte pour un jeu très physique, mariant avec habileté tics et ricanements à une exigeante partition textuelle. Le grand dadais qu’il campe donne la réplique à un maître à l’allure de mafioso (Jean-Marc Dalphond). Prisonnier de sa chaise, ce dernier offre une prestation moins allumée, efficace mais un peu terne. À ce duo se joignent, le temps de quelques savoureux échanges, les géniteurs décrépits de Hamm, Nell et Nagg (Amélie Bernard et Marc Mauduit, tous deux dotés d’un grand sens du comique). Bien qu’inexpérimentés, les quatre interprètes de Fin de partie rendent leurs textes avec aplomb. Du bon travail.

À la fois metteur en scène et scénographe, Félix Larivière aborde sagement ce classique de la dramaturgie du XXe siècle, restreignant ses audaces à quelques effets de lumière. Une attitude timorée, mais conforme à la volonté de Beckett de voir ses pièces présentées dans le respect de chaque dialogue, personnage ou didascalie.
Avec cette courte pièce d’à peine 90 minutes, les recrues de Doggo font la preuve qu’une production théâtrale de qualité peut voir le jour sans grands moyens financiers. Si elle manque un peu de panache, leur Fin de partie a le mérite d’insuffler vie aux personnages de Beckett pour permettre à une nouvelle génération de découvrir ce grand auteur.

Jusqu’au 15 août
À l’Espace Geordie
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